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Page:Jacques Bainville - Napoléon.djvu/332

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L’OUVRAGE DE TILSIT

mise. Il sait qu’au moment d’Eylau l’état des esprits était détestable, que Friedland et la paix n’ont pas effacé toutes les traces de l’inquiétude qui avait alors reparu, qu’un Regnaud de Saint-Jean-d’Angély exagère seulement la vérité quand il écrit « qu’il n’y a rien au fond des cœurs en faveur de l’administration et du gouvernement ». De ses bivouacs de Pologne, Napoléon a dirigé la France, tout surveillé, pensé à tout, réparé les « balourdises » de ses ministres, dont certaines l’ont effrayé. Les choses se sont bien passées, lui absent. Se passeraient-elles encore aussi bien s’il fallait qu’une autre fois il restât longtemps au loin ? « Rien que l’opinion que j’éprouverais en France la moindre contrariété ferait déclarer plusieurs puissances contre nous », avait-il mandé, de Finckenstein, à Cambacérès. La moindre contrariété, c’est-à-dire la moindre opposition. Où l’opposition pouvait-elle encore se manifester ? Au Tribunat, dont la tribune retentissait pourtant bien peu. Napoléon était revenu de Tilsit avec le parti arrêté de fermer cette maison, d’abolir dans la Constitution qu’il avait reçue des mains de Sieyès, le dernier vestige d’une assemblée dotée du droit de discussion, c’est-à-dire de critique et de remontrance. C’était, comme il le disait, « rompre ses derniers liens avec la République ». Déjà, aux renouvellements, il avait éliminé les mauvaises têtes, Benjamin Constant, Marie-Joseph Chénier, Daunou. Les tribuns faisaient encore trop d’opposition et Bonaparte s’était écrié publiquement : « Ils sont douze ou quinze métaphysiciens bons à jeter à l’eau. C’est une vermine que j’ai sur mes habits… Il ne faut pas croire que je me laisserai attaquer comme Louis XVI. Je ne le souffrirai pas. » Comme Louis XVI, non. Mais autrement.

La suppression du Tribunat s’accomplit sans bruit, implicitement, toujours par sénatus-consulte. Elle fut à peine remarquée. Contre le despotisme, il y a quelques voix éparses, il n’y a pas encore d’opi-