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Page:Jacques Bainville - Napoléon.djvu/336

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LE PREMIER NUAGE VIENT D’ESPAGNE

Comme s’il avait le pressentiment d’un danger, on le voit encore, aux deux premiers mois de 1808, hésitant et perplexe, partagé entre plusieurs desseins. Il est loin d’avoir arrêté sa décision. Le 25 février, il écrit de nouveau à Charles IV pour lui demander où en est le projet de mariage du prince des Asturies avec une « princesse française ». Il y revient parce que ce mariage arrangerait tout, si seulement on avait la « princesse » capable de tenir ce grand emploi. Par elle, l’Espagne serait placée sous l’influence directe de la France. Alors il deviendrait possible d’avoir à Madrid un gouvernement actif, soustrait aux tentatives de séduction des Anglais, sans avoir à renverser ni à remplacer les Bourbons. Mais comme il serait plus simple d’en finir avec eux, leurs drames de famille, la double politique de leur ministre, en mettant tout de suite à Madrid, au lieu d’une « princesse française » qu’on ne trouve pas, un Bonaparte, un prince français ! Serait-ce donc si difficile ? Le peuple espagnol n’est-il pas fatigué de la honteuse domination de Godoy ? Le passage à travers l’Espagne de l’armée de Junot en marche pour la conquête du Portugal a été une fête. « On accourait de vingt‑cinq lieues pour voir nos troupes, dit Thiébault ; dans les villes et villages, les rues ne suffisaient plus aux hommes et les croisées aux femmes. » Et l’occupation du Portugal, qui rencontre à ce moment si peu d’obstacles, fait elle-même illusion. À l’approche de Junot, le prince-régent s’est embarqué pour le Brésil avec la famille royale des Bragance. Il suffirait qu’à son exemple Charles IV, la reine et leur inséparable Godoy se rendissent au Mexique, et la question dynastique serait tranchée toute seule, le trône d’Espagne serait vide sans que la France s’en fût mêlée ni que l’empereur se fût sali les mains. Qui sait même si une simple tentative de départ n’aurait pas le même effet que l’affaire de Varennes et ne suffirait pas à disqualifier les Bourbons ? En ce cas, il faut avoir