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Page:Jacques Bainville - Napoléon.djvu/34

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devaient faire leur stage dans le rang. Encore une excellente école. Bonaparte, pour toute sa vie, saura ce que c’est que l’homme de troupe. Il saura ce qu’il pense et ce qu’il aime, ce qu’il faut lui dire et comment lui parler.

En janvier 1786, vêtu de cet uniforme bleu aux parements rouges qui lui semblera toujours le plus beau du monde, il remplit enfin les fonctions d’officier et jouit des premiers agréments de l’épaulette. Il y avait à Valence une petite société de province. Elle s’ouvrit à lui comme à ses camarades. Il ne vécut pas tout à fait en solitaire. Tout sauvage, gauche et pédant qu’il était, il fut sensible à l’accueil d’une femme aimable, Mme du Colombier, qui lui donnait de bons conseils et qui avait une fille, Caroline, avec laquelle il esquissa une amourette timide. N’allait-il pas manger des cerises avec elle, à la fraîche, comme Jean-Jacques avec Mlle Galley ? Même auprès de Mlle Caroline, il était livresque, innocemment.

Cependant, s’il portait l’habit d’artilleur, il lui restait à apprendre l’artillerie. Rien ne l’honore plus que le témoignage reconnaissant qu’il a rendu à ses chefs et à ses maîtres. À l’âge où l’on commence à savoir que tout homme, eût-il du génie, doit aux autres plus qu’à lui-même, il a parlé d’eux avec une chaleur sincère. Le corps de l’artillerie, disait-il à Las Cases, était, quand j’y entrai, « le meilleur, le mieux composé de l’Europe… C’était un service tout de famille, des chefs entièrement paternels, les plus braves, les plus dignes gens dur monde, purs comme de l’or ». Il ajoutait : « Les Jeunes gens se moquaient d’eux mais les adoraient et ne faisaient que leur rendre justice. »

En 1786, le petit sous-lieutenant de seize ans et demi s’initie à peine à la balistique, à la tactique et à la stratégie. Où il est bien, c’est dans sa pauvre chambre, près de ses livres et de l’encrier. Sans argent, il prend son plaisir avec les idées et la main