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Page:Jacques Bainville - Napoléon.djvu/340

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LE PREMIER NUAGE VIENT D’ESPAGNE

tout peut s’arranger », que tout s’arrangera à la vue de ses troupes et à la nouvelle de son arrivée, que, dans un sens ou dans l’autre, la question dynastique se résoudra d’elle-même, sans violence. Réservant sa liberté de décision, il n’a pris parti ni pour Charles IV ni pour Ferdinand, les tranquillise tous deux, ne s’engage pas plus avec le père qu’avec le fils, au fond assez embarrassé parce que le gouvernement espagnol ne lui donne pas de griefs et que Godoy lui‑même affecte la fidélité à l’alliance et l’obéissance aux volontés de l’empereur. Comment, sous quel prétexte détrôner un roi qui prodigue les marques d’amitié et même de soumission ? Car, chez Napoléon, l’idée grandit qu’il est temps d’en finir avec cette famille divisée contre elle‑même, qui corrompt l’Espagne et la paralyse, d’en finir avec ce favori dont la servilité inspire la méfiance et laisse craindre de nouvelles trahisons. Le jeu de l’empereur, à ce moment-là, est d’effrayer Godoy par son silence, par ses intentions impénétrables, par l’avance continue et inexpliquée des troupes françaises, de telle sorte que le ministre prenne le parti de fuir en Amérique avec toute la cour, avec Ferdinand lui-même, laissant la place libre. Mais à mesure qu’il sent que cette fuite, suggérée par son attitude ténébreuse, approche, la tentation grandit aussi chez l’empereur. Là‑bas, régnant sur l’autre continent, comme les Bragance au Brésil, les Bourbons seraient encore une gêne. L’Espagne, privée de ses colonies, perdrait la moitié de sa valeur dans l’association contre l’Angleterre. Et quel avènement pour le nouveau roi s’il se présente devant ses sujets sans leurs domaines d’outre-mer ! Alors, un autre dessein — une première ruse — sort de ces réflexions. Les restes de la flotte française battue à Trafalgar sont encore immobilisés à Cadix. L’amiral qui les commande reçoit l’instruction secrète de retenir Charles IV s’il vient s’embarquer dans ce port.