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Page:Jacques Bainville - Napoléon.djvu/343

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NAPOLÉON

niser la guerre. J’ai des partisans ; si je me présente en conquérant je n’en aurai plus… Le prince des Asturies n’a aucune des qualités qui sont nécessaires au chef d’une nation, cela n’empêchera pas que, pour nous l’opposer, on en fasse, un héros… Il n’est jamais utile de se rendre odieux et d’enflammer les haines… Je vous présente l’ensemble des obstacles qui sont inévitables ; il en est d’autres que vous sentirez : l’Angleterre ne manquera pas l’occasion de multiplier nos embarras. » Tout y est, et même trop. C’est la prescience du passé. Ayant annoncé l’avenir avec une lucidité aussi extraordinaire, Napoléon serait impardonnable de ne pas s’être arrêté avant le pas fatal. On a cru qu’il avait lui‑même forgé ce document suspect. N’est-ce pas la traduction de quelque entretien de Sainte-Hélène où l’empereur avait rappelé ses doutes du dernier moment ? Même apocryphe, la lettre contestée offre un mot que pouvaient inventer peu de personnes, un aveu que Napoléon seul était capable de faire. Il avait eu « une grande perplexité ». Plus tard, sachant comment avait tourné l’affaire d’Espagne, il s’en souvenait encore.

C’est que les hommes et les choses se conjuraient pour tromper Napoléon, le convaincre que ces Bourbons étaient une race finie. De lui‑même, Ferdinand a pris le chemin de Bayonne. Il a hâte d’être reconnu roi par l’empereur des Français. Mais quand Charles IV et la reine apprennent que leur fils est parti, ils s’empressent de marcher sur ses pas pour plaider leur cause, se concilier le puissant allié, se placer sous sa protection. Ferdinand, à son tour, n’en est que plus pressé d’arriver le premier. Il trouve la route trop longue. Au moment de franchir la frontière, il hésite pourtant, les adjurations de quelques Espagnols clairvoyants le troublent. Il n’est pas moins troublé quand l’astucieux Savary lui fait entendre qu’il compromet tout s’il ne vient pas à Bayonne, le laisse à ses