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Page:Jacques Bainville - Napoléon.djvu/448

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LE 29e BULLETIN

l’amour-propre l’empêchait de retomber dans les bras de l’ami d’un an — ou d’un jour.

« Croire ce qu’il désirait » sera l’erreur la plus grave de Napoléon, l’origine des fautes qu’il va commettre. Le principe de sa perte, qui est dans son esprit, on a voulu le voir dans une santé atteinte, un corps empâté qui lui auraient laissé une intelligence moins nette et une activité ralentie. On exagère beaucoup. Un homme n’est pas usé à quarante-trois ans. Napoléon supportera très bien l’hiver russe, l’épreuve physique de la retraite, dure pour tous, même pour lui. Ses idées sont toujours lucides, l’imagination vive, peut‑être trop ardente. Le seul signe de vieillissement qu’il donne, c’est de n’admettre plus qu’il puisse se tromper, et, quand il se retrouve dans les circonstances où ses calculs ont été justes, il les recommence. Il s’imite lui‑même, comme les auteurs dont la manière a eu du succès. Il revient tout à fait à 1807 en passant par les mêmes étapes, les mêmes paysages, presque les mêmes gîtes, et l’impression de ressemblance est si forte qu’il la pense tout haut. C’est la proclamation du 22 juin : « Soldats, la seconde guerre de Pologne est commencée ; la première s’est terminée à Friedland et à Tilsit. » C’est, dix jours après, de Vilna, le message au tsar : « Si la fortune devait encore favoriser mes armes, Votre Majesté me trouvera, comme à Tilsit et à Erfurt, plein d’amitié et d’estime. » On ne se baigne pas deux fois dans le même fleuve. Sur le Niémen, le radeau symbolique ne flottera plus.

Au moment d’en franchir les eaux changeantes et trompeuses, comme il allait reconnaître lui‑même le gué, l’empereur eut un bizarre accident. Un lièvre passa entre les jambes de son cheval qui fit un écart, désarçonna le cavalier. La suite, où était Caulaincourt qui, de cette guerre, n’augurait rien de bon, vit dans cette chute un mauvais présage. À demi sérieux, à demi riant, on disait au quartier