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Page:Jacques Bainville - Napoléon.djvu/453

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NAPOLÉON

bère ; et cette grande irrésolution qui tourmente son esprit s’empare de toute sa personne… Rien ne peut plus le fixer ; à chaque instant, il rend, quitte et reprend son travail ; il marche sans objet, demande l’heure, considère le temps ; et tout absorbé il s’arrête, puis il fredonne d’un air préoccupé et marche encore. » Tout, selon la chose vue de Ségur, est, en 1812, comme en 1811, selon le récit du secrétaire Mounier. Il ne manque même pas le lit où Napoléon se jette « comme accablé d’une si grande incertitude ».

Les réflexions qu’il ne cesse de faire lui montrent qu’il ne peut plus s’en tenir à son plan primitif parce que ses calculs se sont trouvés faux. Il a formé plusieurs hypothèses. Aucune ne s’est réalisée. Alexandre n’a demandé la paix ni devant la menace de l’invasion ni lorsque la Pologne a été envahie. La décision militaire n’a pas été obtenue, l’ennemi ayant échappé avec méthode et obstination. S’arrêter avant d’entrer en Russie proprement dite, dans l’idée que le tsar se soumettrait plutôt que de s’exposer au rétablissement de la Pologne, c’était une troisième conjecture et elle excluait comme les autres le danger de s’enfoncer au cœur du pays. Sur place, Napoléon s’aperçoit que, pour toutes sortes de raisons, son projet d’hivernage, qui paraissait judicieux, n’est pas praticable, que ses cantonnements seront trop espacés, mal ravitaillés. Le froid venant, les garnisons seront exposées à des coups de main, les fleuves gelés livreront passage à l’ennemi au lieu de former une défense. Et puis, entrer en campagne au mois de juin et se reposer au mois d’août, c’est démoraliser l’armée par l’inaction, avouer un échec et cet aveu est grave, car, derrière, il y a l’Allemagne, plus loin l’Espagne, et même la France sur laquelle Napoléon garde des inquiétudes. À tout prix il faut sauver le prestige. D’ailleurs en admettant que l’hiver se passe bien, tout sera à recommencer l’été suivant, et en quoi les choses auront‑elles changé ?