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Page:Jacques Bainville - Napoléon.djvu/457

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NAPOLÉON

est une guerre politique, sans animosité ni personnelle ni nationale, qu’il n’en veut ni à la Russie ni au tsar. Il importe qu’on sache à Saint-Pétersbourg qu’il n’entend pas reconstituer la Pologne, qu’il en est, du reste, depuis qu’il l’a revue, encore plus dégoûté qu’en 1807. Que le tsar rompe avec l’Angleterre, qu’il se prononce contre elle. On ne lui demande pas autre chose parce que la Grande Armée n’est pas venue en Russie pour autre chose. Napoléon aspire toujours à son second Tilsit. En cela aussi il s’imite lui‑même, et il retarde. Il poursuit l’ombre du passé aussi vainement qu’il a poursuivi Bagration et Barclay.

Et si, durant cette marche sur Moscou, cette marche de vingt jours, il est à toute minute dans un état d’irritation pénible pour son entourage, c’est parce qu’il ne veut pas s’avouer la vérité, reconnaître qu’il a fait ce qu’il ne voulait pas faire, qu’il a changé de plan tandis que le tsar reste fidèle au sien et qu’il recommence Charles XII après avoir traité avec tant de dédain ceux qui le menaçaient des marais de Poltava. Il lui est pénible de s’enfoncer, contre son gré, au centre de la Russie pour chercher la décision militaire ou la décision politique, il ne sait pas laquelle des deux, et sans être sûr d’obtenir ni l’une ni l’autre : « Il était, dit un témoin, comme un homme qui a besoin de consolation. » Il affecte de railler ces Russes « qui brûlent leurs maisons pour nous empêcher d’y passer une nuit », et il ne peut se défendre d’un pressentiment en voyant ce désert qu’ils laissent derrière eux. Il raisonne sans fin sur les intentions et les mobiles d’Alexandre. Il cherche à se faire dire tantôt que le tsar deviendra conciliant, tantôt que les Russes lui livreront bataille. Et lorsqu’elle s’offre, lorsque le vieux Koutousof, son nouvel adversaire, fait tête pour sauver l’honneur et avoir au moins tenté de défendre la ville sainte, Napoléon est étrangement troublé.

On a cru qu’il y avait un mystère de la Moskowa.