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Page:Jacques Bainville - Napoléon.djvu/468

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LE 29e BULLETIN

complot, presque une révolution. Ce qui le frappait surtout, c’était que l’idée ne fût venue à personne que, si l’empereur était mort, il avait un successeur et un héritier. « Et Napoléon II, on n’y pensait donc pas ? » La monarchie, l’Empire héréditaire, ses institutions, son mariage, son fils, tout cela comptait donc pour rien ? Cet oubli lui donnait la mesure de sa faiblesse. Il comprenait que les consolidations qu’il avait cherchées par tant de moyens étaient vaines, que son pouvoir restait aussi fragile qu’au temps du Consulat, qu’il était lui-même à la merci d’un grand revers. Il était occupé de ses réflexions alors que tout lui faisait sentir que, ce grand revers, les Russes pouvaient le lui infliger d’une heure à l’autre. Incapable de dissimuler ses alarmes, il essayait de savoir ce que les autres pensaient de l’événement de Paris et, au lieu de faire le silence, il l’annonçait lui-même pour observer l’effet que l’étonnante nouvelle produirait sur ses généraux.

Il cessa d’en parler sans cesser d’y penser, toujours plus pressé de se rapprocher de la France, de quitter cette Russie comme il avait quitté l’Espagne, encore séparé par mille dangers du moment où il pourrait rejoindre Paris. Tous les jours, cette retraite devenait plus affreuse. On n’arrivait à Smolensk que pour y trouver les vivres pillés, un grand espoir changé en détresse. Napoléon resta enfermé, ne voulut rien voir de ces scènes, de ces batailles entre compagnons d’armes pour quelques restes de subsistances. Puis il fallut reprendre la marche dans le désordre et l’abolition de la discipline, quelques poignées d’hommes seulement montrant jusqu’où peuvent aller l’endurance et l’héroïsme, Ney, à l’arrière‑garde, soutenant deux combats par jour pour sauver le triste convoi. Maintenant, l’empereur lui-même allait à pied, entouré de « l’escadron sacré », brûlant de ses propres mains ses papiers et ses vêtements le jour où il fut sur le point d’être pris. Parfois, il lui échappait de dire que « le trop d’habi-