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Page:Jacques Bainville - Napoléon.djvu/470

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LE 29e BULLETIN

il à Maret. Il est anxieux d’apprendre ce qu’on pense en Europe. Et il faut qu’on sache avant tout que l’empereur est en vie, bien portant, qu’il sera là demain, parce qu’il faut qu’en Allemagne, en France, partout, on ne doute pas de sa présence redoutée qui vient encore, pendant quarante terribles jours, de contenir Koutousof, de lui inspirer crainte et respect et d’aider Ney à sauver l’honneur de ce qui a été la Grande Armée.

Le désastre, il en mesure l’étendue, il en voit surtout l’ensemble. Demain l’Europe connaîtra que, de cette entreprise gigantesque, l’empereur n’a échappé qu’avec des troupes en désordre et en guenilles, que, de la plus belle machine militaire qu’on ait jamais vue, il ne reste que des hommes affamés, à demi mourants, des chefs couverts de gloire mais irrités. Dès lors, la Russie et l’Angleterre, dont l’alliance se resserrera, redoubleront d’efforts. La Prusse, l’Autriche elle‑même, ne seront plus sûres. La fermentation, sensible depuis 1809 en Allemagne, gagnera les pays de la Confédération, la Hollande, la Belgique, l’Italie, sans compter l’Espagne déjà insurgée, tandis qu’en France le trouble des esprits, qu’a déjà trahi l’affaire Malet, deviendra plus profond. Il ne servirait à rien de ruser, de dissimuler. L’empereur doit publier lui-même son malheur. Et il doit arriver à Paris en même temps que la nouvelle de la débâcle afin d’en atténuer l’effet. Il importe surtout que cette nouvelle ne l’ait pas précédé, sinon il suffirait que la Prusse se soulevât, tendît la main aux Russes, et, le chemin du retour coupé, tout serait perdu.

L’empereur fait ces réflexions, prend son parti pendant les journées qui suivent la Bérézina et qui sont à peine moins tragiques que celle des engloutissements de tant de malheureux dans les eaux glacées. Les Russes se sont remis à la poursuite des Français en déroute et, parfois, Ney, Maison, ne peuvent plus réunir qu’une poignée de soldats qui