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Page:Jacques Bainville - Napoléon.djvu/524

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LES BOTTES DE 1793

inquiet, il pria les commissaires de changer d’habits avec lui, revêtit l’uniforme de l’Autrichien, le manteau du Russe. Celui-ci voulut bien prendre la place de Napoléon qui, pour être sûr qu’on ne le reconnaîtrait pas, monta dans une autre voiture, s’assit à gauche, demanda qu’on lui manquât d’égards. Un voyage humilié, pire que celui de Varennes, où Bonaparte, comme dans l’Orangerie, le 18 brumaire, n’a pu soutenir le contact de la foule, les bousculades, les choses dont il a toujours eu horreur, avec ses nerfs d’intellectuel. Il en oublie qu’il était hier empereur, il en perd le respect humain devant ces étrangers devenus ses protecteurs. L’un d’eux, dans un cruel récit, dit qu’il les fatiguait de ses alarmes et, ce qui a frappé davantage ce Prussien, « de ses irrésolutions ». Sur la route, Napoléon vit sa sœur, la belle Pauline, qui lui fit honte, refusa de l’embrasser qu’il n’eût quitté l’uniforme d’Autriche. C’est une épave, un malheureux.

Le 4 mai, il descend de la frégate anglaise qui l’a conduit à l’île d’Elbe. Il prend possession de son nouveau royaume avec une grimace d’abord, car sa nouvelle capitale de Porto-Ferrajo ressemble à un de ces petits ports de Corse qu’il connaît bien. Le maire et le vicaire général lui apportent les clefs de la ville, le promènent sous un dais de papier doré, jusqu’à l’église, pour un Te Deum solennel. C’est une parodie de souveraineté, avec le discours du trône prononcé dans la salle de l’hôtel de ville. Et puis les notables lui sont présentés, il parle à chacun et c’est le miracle ordinaire. Mieux que les habitants, il sait tout du pays. Il en connaît l’histoire, les coutumes, les productions, les particularités administratives et même les derniers incidents municipaux. À Fontainebleau, dès qu’il a connu son lieu d’exil, il a demandé à Paris le dossier de l’île d’Elbe et les livres qui existent sur le sujet. Entre l’abdication, l’empoisonnement, les