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Page:Jacques Bainville - Napoléon.djvu/531

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NAPOLÉON

gendre et de revoir sa fille sur le plus beau des trônes de l’Europe. Enfin Napoléon rassurerait les rois légitimes et serait plus constitutionnel que les Bourbons. Jamais il n’a tiré de plan plus chimérique. Sans cette chimère, fût-il parti ?

Le 26 février, il prend la mer sur l’Inconstant, suivi de six felouques chétives. En tout, un millier d’hommes, quelques canons. La meilleure arme qu’il emporte, ce sont ses proclamations, des images, des souvenirs de gloire, des appels à l’imagination du peuple, un style, une littérature, et lui-même que l’éloignement a déjà idéalisé. Encore faut‑il passer sans encombres, échapper aux croisières. Comme pour l’expédition et pour le retour d’Égypte, le concours des circonstances, l’étoile ne manquent pas non plus. Le vent du sud pousse la flottille vers la France, tandis qu’il immobilise à Livourne la frégate anglaise qui doit ramener Campbell.

En débarquant au golfe juan, un des premiers à qui l’empereur eût parlé était le maire d’un village qui lui avait dit : « Nous commencions à devenir heureux et tranquilles, vous allez tout troubler. » Et l’empereur confiait à Gourgaud : « Je ne saurais exprimer combien ce propos me remua ni le mal qu’il me fit. » Est-ce cette rencontre, ce mot vrai et naïf ? Le fait est que cette irrésistible marche sur Paris, cette conquête d’un pays rien qu’en paraissant, ce que Chateaubriand appelle le prodige de l’invasion d’un seul homme, laissaient l’empereur plein de doutes. Cette montée triomphale, qui en eût enivré un autre, s’est accompagnée chez Napoléon d’une mélancolie, d’un manque de confiance, d’un pessimisme qui le poursuivront pendant la durée des Cent-Jours. Les périls qu’il courait dans cette équipée, il n’y pensait pas. Il pouvait, si un seul régiment l’arrêtait, être fusillé comme le sera bientôt Murat, débarquant à son exemple dans le royaume de Naples. Bonaparte