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Page:Jacques Bainville - Napoléon.djvu/545

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NAPOLÉON

nant, du reste, sa vigueur physique est diminuée, sa santé atteinte et l’empoisonnement de Fontainebleau n’a pas été sans l’altérer. Bien plus malade est son esprit. L’effondrement et les trahisons de 1814 l’obsèdent. La certitude que ni Marie‑Louise ni le roi de Rome ne reviendront lui ôte une grande part de son courage. À quoi bon restaurer une monarchie dont l’héritier légitime est prisonnier ? Faudra‑t‑il, contre une nuée d’ennemis, aller pour le délivrer, jusqu’à Vienne, plus loin encore ? La guerre, Napoléon sait qu’elle est inévitable puisqu’il est au ban de l’Europe, et il l’a préparée dans les détails, comme toujours. Mais il écoute tous les avis, examine tous les partis et, pesant le pour et le contre, n’en adopte aucun. Il y avait ceux qui lui conseillaient d’entrer en campagne tout de suite, de devancer les Alliés, de « partir pour Bruxelles en battant la générale et en la faisant battre dans toute la France ». Mais il avait fallu promettre la paix, rassurer la France et l’Europe, renoncer aux conquêtes, même à celle de la République, et comment ranimer l’enthousiasme révolutionnaire lorsqu’on avait déclaré solennellement qu’on ne songeait à reprendre ni la Belgique ni la rive gauche du Rhin ? Battre la générale était vite dit. Pour lever un demi‑million d’hommes dans un tumulte patriotique, il fallait avoir des armes et des chevaux à leur donner. Il fallait faire confiance à cette garde nationale, à ces ouvriers « fédérés » qui s’offraient à l’empereur, par qui il se laissait appeler « l’homme de la nation », mais dont la valeur militaire lui paraissait douteuse, le républicanisme inquiétant, qui sentaient trop la révolution et la « jacquerie ». Il y avait aussi Carnot, qui vivait de souvenirs, qui croyait toujours que 1792 pouvait se recommencer. Il conseillait, lui, d’attendre l’ennemi et l’invasion. Alors un mouvement généreux entraînerait la France qui se serrerait tout entière derrière son chef. Napoléon jugeait mieux l’opinion publique. Il la sentait mau-