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Page:Jacques Bainville - Napoléon.djvu/568

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LE MARTYRE

en mars 1818. À partir de ce moment, Montholon, trop occupé, devient un chroniqueur irrégulier et, du registre, passe aux souvenirs composés après coup. Sans compter les suppressions qui ont été faites dans les manuscrits pour des raisons de famille, ce sont les causes de beaucoup d’incertitudes. En définitive, autant qu’elles sont mornes, les trois dernières années de l’empereur sont obscures et muettes. C’est à peine si on l’entend encore parler. Il est privé de la faconde de Las Cases, de l’esprit contrariant de Gourgaud qui stimulaient sa conversation. Des lettres, il n’en écrit pas, n’acceptant pas que les siennes soient lues par le gouverneur. Peu à peu, sa voix tombe. Selon le mot frappant de Rosebery, c’est « la période de la moisissure ». Il souffre aussi du mal cruel de son père. Il s’affaissera lentement pour s’éteindre enfin dans le silence de la nuit.

Il faut donc se résigner à ne voir l’empereur captif qu’à travers des brumes et surtout selon la version légèrement romancée qui est restée de Sainte‑Hélène. Mais la fortune n’a rien refusé à Napoléon. Pour donner à la tragédie le tour du mélodrame populaire, elle avait apporté le geôlier. Sir Hudson Lowe semble choisi par un décret de la Providence. Sans lui, un élément essentiel de la complainte manquerait. Le gouverneur avait l’esprit étroit, formaliste, en outre faible. Il était accablé par ses responsabilités, obsédé par la crainte de l’évasion. Le souvenir de Campbell, revenu à l’île d’Elbe pour la trouver vide, le tourmentait. En vain, Hudson Lowe avait-il hérissé Sainte‑Hélène de canons et de sentinelles, prescrit les précautions les plus sévères. Parfois il se relevait au milieu de la nuit et galopait jusqu’à Longwood pour s’assurer que son prisonnier était toujours là. Absurdement soupçonneux, il ne permettait pas aux commissaires de France, d’Autriche et de Russie de remplir leur mission et de se rendre compte par eux‑mêmes de la