Aller au contenu

Page:Jacques Bainville - Napoléon.djvu/577

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
572
NAPOLÉON

corps avec lui. Peut-être l’accablement de Sainte‑Hélène a-t-il hâté sa mort plus sûrement que le climat, s’il est vrai que l’incurable cancer ronge la chair dont l’âme est triste. Maintenant, difforme, négligé, oubliant ce respect de l’étiquette auquel il a tenu, ainsi qu’à son titre, pour garder vivante, par le prestige, l’idée impériale, il reste oisif, prostré, ou bien, dans un bizarre costume de planteur, s’occupe de jardinage. On voudrait croire Antommarchi, ce hâbleur qui lui prête jusqu’à la fin des tirades et des bons mots.

Le captif était devenu invisible. Son mal s’aggravait. Comme une dernière revue des gloires de son règne, il dicta son testament politique, prophétique aussi. En phrases cadencées, amies de la mémoire, c’étaient ses recommandations suprêmes à son fils et aux Français, un appel à l’avenir vengeur, le pardon à ceux dont les « trahisons » avaient perdu l’Empire et la France, Marmont, Augereau, Talleyrand, La Fayette qu’il nommait encore pour que leur mémoire fût exécrée. Marie‑Louise, « très chère épouse », y était à l’honneur comme si « ce polisson de Neipperg » n’eut pas existé. Napoléon, dans cet acte solennel, voulut ajouter que lui, et nul autre, avait fait arrêter et juger le duc d’Enghien.

Il mourut le 5 mai 1821. « Tête… armée… » furent, dit‑on, les derniers mots qu’il prononça. Dans l’agonie, il se jeta hors de son lit avec une violence terrible. Une tempête soufflait sur l’île lorsqu’il mourut. Le fidèle Marchand l’enveloppa dans le manteau qu’il portait à Marengo. Abandon, simplicité, mystère, tout servait encore la légende de Napoléon. Il avait la fin la plus convenable à sa gloire. La mort elle-même achevait, par un autre genre de grandeur, la composition unique de sa vie.

Hudson Lowe fit mieux qu’elle. Ce fonctionnaire borné poussait le formalisme jusqu’au génie. Montholon, Bertrand voulaient que, sur la tombe de l’empereur, un seul mot fût gravé : Napoléon. Le