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Page:Jacques Bainville - Napoléon.djvu/88

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riage. Ce sont des sens en feu, une « âme brûlée » que la jalousie dévore… Jalousie qui n’est pas sans cause. Joséphine, à Paris, s’amuse. Elle se moque de son mari, simule une grossesse pour ne pas le rejoindre. Ses mensonges, tantôt il ne veut pas les voir, tantôt il les devine et s’en désespère. Du reste, les Directeurs craignent que le jeune général soit distrait s’il a sa femme près de lui. Ils la retiennent et elle ne demande pas mieux que d’être retenue. Pour qu’elle s’aperçoive que ce petit Bonaparte est quelqu’un, il faudra que ses batailles aient fait du bruit. Encore viendra-t-elle sans enivrement le rejoindre sur le théâtre de ses exploits. Bonaparte, amoureux exalté de l’infidèle, est presque ridicule, et les « vieilles moustaches » trouvent qu’il montre trop volontiers le portrait de l’aimée, tandis qu’il dédaigne les beautés milanaises qui s’offrent au libérateur.

Qu’importe ? Embellie par le temps, la romance de Napoléon et de Joséphine ajoute à la campagne d’Italie un accompagnement d’amour. Déjà l’image d’une femme, de la sensibilité, un fond de tristesse sous l’éclat de la gloire, commencent à former sa figure et son bagage légendaires. Rœderer traduit : « Bonaparte, à la guerre, dans ses proclamations, a toujours quelque chose de mélancolique. » Que dire de ses lettres à l’aimée, brûlantes de passion, souvent de rage, hantées par l’idée de la mort ? Singulier contraste avec l’allégresse de la victoire qu’il poétise encore par un romantique retour sur lui-même après l’action. Contraste bien plus singulier avec cette « faculté de géométrie transcendante » qu’il applique à l’art de la guerre, cette révélation d’un grand capitaine, maître du temps et de l’espace au point qu’il semble en retirer l’usage et jusqu’à la notion à ses adversaires.

Ce n’est pas tout. Le politique se révèle. Avec une maturité qui est au-dessus de son âge, il se domine, il se modère dans la victoire, jugeant bien