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Page:Jacques Bainville - Napoléon.djvu/97

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pion », pour traiter avec l’ennemi, le cas échéant, à la place du général en chef. Le Directoire se méfie de Bonaparte, le surveille, le contrecarre, mais ne peut se passer de ses services. Il ne peut même pas lui refuser les remerciements et les éloges, car il est le seul qui gagne des batailles et qui apporte l’espoir de la paix dont le besoin grandit en France. Le Directoire irrite Bonaparte tout en faisant sa grandeur et il lui inspire du mépris avant même de lui demander aide et protection en fructidor, — avant de lui ouvrir, par une moitié de ses membres, le chemin du pouvoir en brumaire.

Il n’y a pas encore un an que Bonaparte est en Italie, et il est convaincu par une expérience de tous les jours que le gouvernement de la République ne comprend rien aux affaires italiennes. Il n’y comprend rien parce qu’il reste entiché de dogme et de doctrine. Bonaparte sait bien ce que valent les systèmes et les principes. Il s’en est nourri dans son adolescence. Il y a cru et il en garde assez pour rester toujours dans le sens de la Révolution. Mais il y a les hommes, il y a les choses. Lui, il s’élève au-dessus des sentiments et des fanatismes. Il les juge. Il s’en sert aussi. Ce sont des forces avec lesquelles on doit compter et qu’il emploie ou qu’il neutralise en les opposant. Ce qu’il sera bientôt à l’égard des Français, il l’est déjà à l’égard des Italiens, au-dessus des partis, arbitre conciliateur, et dans une situation bien plus difficile puisque la France est une, qu’elle a un centre, Paris, tandis que l’Italie est un corps sans tête, aux membres épars. Si Bonaparte n’avait tant lu, s’il ne savait tant d’histoire, se tirerait-il d’affaire dans le magma italien ? Lui viendrait-il tout seul à l’esprit de fonder, avec Bologne et Ferrare enlevés au pape, avec Modène dont le duc est déchu, une République cispadane, cliente et protégée, sur le modèle des « alliés » de la République romaine, et tenue soigneusement distincte de la Lombardie, qui fera une