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la durée de leur vie, que quelques savants ont bien voulu supputer ; car il en est qui ne les font pas immortels. Hésiode leur donne une vie de six cent quatre-vingt mille quatre cents ans. Plutarque, qui ne conçoit pas bien qu’on ait pu faire l’expérience d’une si longue vie, la réduit à neuf raille sept cent vingt ans…

Ajoutons ici une remarque de Benjamin Binet, dans son Traité des dieux et des démons du paganisme : « Les anciens s’étaient imaginé que, Dieu étant esprit, il fallait que les anges et les démons fussent des corps, à cause de la distance infinie qui éloigne le Créateur de la créature. » « Il est certain, dit Tertullien, que les anges n’ont pas eu une chair qui leur fût personnelle, étant spirituels de leur nature ; et s’ils ont un corps, il convient à leur nature. (Tert., De carne Christi, cap. 6.) » Saint Macaire l’ancien pousse encore la chose plus loin en ce passage : « Chacun est corps selon sa propre nature ; en ce sens, l’ange et l’âme et le démon sont corps. « (Mac., hom. 4.)

Plutarque compare la nature des démons à celle des hommes. Il les représente sujets aux mêmes besoins, aux mêmes infirmités, se nourrissant de la fumée, de la graisse et du sang des sacrifices…

Il y a bien des choses à dire sur les démons et sur les diverses opinions qu’on s’est faites d’eux. On trouvera généralement ces choses à leurs articles dans ce dictionnaire.

Les Moluquois s’imaginent que les démons s’introduisent dans leurs maisons par l’ouverture du toit et apportent un air infect qui donne la petite vérole. Pour prévenir ce malheur, ils placent à l’endroit où passent ces démons certaines petites statues de bois pour les épouvanter, comme nous hissons des hommes de paille sur nos cerisiers pour écarter les oiseaux. Lorsque ces insulaires sortent le soir ou la nuit, temps attristé par les excursions des esprits malfaisants, ils portent toujours sur eux comme sauvegarde un oignon ou une gousse d’ail, un couteau, quelques morceaux de bois ; et quand les mères mettent leurs enfants au lit, elles ne manquent pas de mettre l’un ou l’autre de ces préservatifs sous leur tête.

Les Chingulais pour empêcher que leurs fruits ne soient volés annoncent qu’ils les ont donnés aux démons. Dès lors, personne n’ose plus y toucher.

Les Siamois ne connaissent point d’autres démons que les âmes des méchants qui, sortant des enfers où elles étaient détenues, errent un certain temps dans ce monde et font aux hommes tout le mal qu’elles peuvent. De ce nombre sont encore les criminels exécutés, les enfants mort-nés, les femmes mortes en couches et ceux qui ont été tués en duel.

À ceux qui sont assez obtus pour nier les démons, nous citerons encore Bayle, qu’on n’accusera pas de crédulité excessive. Il reconnaît lui-même l’existence des démons et les faits que l’Église leur attribue avec fondements. « Il se trouve dans les régions de l’air, dit-il, des êtres pensants, qui étendent leur empire aussi bien que leurs connaissances sur notre monde. Et comme on ne peut nier l’existence sur la terre d’êtres méchants qui font le mal et s’en réjouissent, on serait ridicule si on osait nier qu’il y ait, outre ceux-là qui ont des corps, plusieurs autres qu’on ne voit pas et qui sont encore plus malins et plus habiles que l’homme[1]. »

Démons blancs. Voy. Femmes blanches.

Démons familiers, démons qui s’apprivoisent et se plaisent à vivre avec les hommes qu’ils aiment assez à obliger.

Un historien suisse rapporte qu’un baron de Regensberg s’était retiré dans une tour de son château de Bâle pour s’y adonner avec plus de soin à l’étude de l’Écriture sainte et aux belles-lettres. Le peuple était d’autant plus surpris du choix de cette retraite, que la tour était habitée par un démon. Jusqu’alors le démon n’en avait permis l’entrée à personne ; mais le baron était au-dessus d’une telle crainte. Au milieu de ses travaux, le démon lui apparaissait, dit-on, en habit séculier, s’asseyait à ses côtés, lui faisait des questions sur ses recherches et s’entretenait avec lui de divers objets, sans jamais lui faire aucun mal. L’historien crédule ajoute que, si le baron eût voulu exploiter méthodiquement ce démon, il en eût tiré beaucoup d’éclaircissements utiles. Voy. Bérith, Cardan, Esprits, Lutins, Farfadets, Kobold, Socrate, etc.

Démons de midi. On parlait beaucoup chez les anciens de certains démons qui se montraient particulièrement vers midi à ceux avec lesquels ils avaient contracté familiarité. Voy. Agathion. Ces démons visitent ceux à qui ils s’attachent, en forme d’hommes ou de bêtes, ou en se laissant enclore en un caractère, chiffre, fiole, ou bien en un anneau vide et creux au dedans. « Ils sont connus, ajoute Leloyer, des magiciens qui s’en servent, et, à mon grand regret, je suis contraint de dire que l’usage n’en est que trop commun[2]. » Voy. Empuse.

Démons obsesseurs. Voy. Obsessions.

Démons possesseurs. Voy. Possessions.

Denis Anjorand, docteur de Paris, médecin et astrologue au quatorzième siècle. Ce fut lui qui prédit la venue du prince de Galles, et qui configura d’avance par astrologie la prise du roi Jean à Poitiers. Mais on n’en tint pas compte. Néanmoins, après que la chose fut advenue, il fut grandement estimé à la cour[3].

  1. Dictionnaire critique. Art. Spinoza et Ruggeri.
  2. Histoire des spectres, liv. III, ch. iv, p. 198
  3. Ancien manuscrit de la bibliothèque du roi, cité par Joly, Remarques sur Bayle.