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Page:Jacques Collin de Plancy - Dictionnaire infernal.pdf/220

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hier lui en remettre que six cents, et qu’il me faut les six cents autres. — L’ami ne répliqua plus ; il savait l’imagination de ce pauvre ami facile à effrayer. Il tira de son coffre la somme qu’on lui demandait, et la prêta de bonne grâce ; mais à huit heures du soir il se rendit chez le vieux marchand. — Je viens vous faire société, lui dit-il, et attendre avec vous le diable que je ne serais pas fâché de voir. Le négociant répondit que c’était impossible, ou qu’ils s’exposeraient à être emportés tous les deux. Après des débats, il permit que son ami attendît l’événement dans un cabinet voisin. À dix heures précises, un bruit se fit entendre dans la cheminée, le diable paraît dans son costume de la veille. Le vieillard se met en tremblant à compter les écus. En même temps, l’homme du cabinet entra. — Es-tu bien le diable ? dit-il à celui qui demandait de l’argent… — Puis, voyant qu’il ne se pressait pas de répondre, et que son ami frissonnait, grelottait et tremblotait, il tira de sa poche deux longs pistolets, et, les présentant à la gorge du diable, il s’écria : — Je veux savoir si tu es à l’épreuve du feu…… Le diable recula, cherchant à gagner la porte. — Fais-toi bien vite connaître ou tu es mort… — Le démon se hâta de se démasquer et de mettre bas son costume infernal. On trouva sous ce déguisement un voisin du bon marchand, qui faisait quelquefois des dupes et qu’on n’avait pas encore soupçonné. Il fut jugé comme escroc, et le négociant apprit par là que le diable n’est pas le seul qui soit disposé à nous nuire.

Voici une autre aventure où la coquinerie a voulu se cacher sous le masque du diable. Elle a eu lieu il n’y a que quelques années. Toute la ville de Brunn était en émoi ; les rues étaient encombrées. Les jeunes gens riaient ; les vieillards et les femmes pleuraient, se signaient et appelaient à leur aide tous les saints. Cinq gendarmes conduisaient à la prison le diable même. Tête surmontée de deux cornes, et flanquée d’oreilles de bouc, corps velu, à jambes de cheval, à pieds fourchus, et ce Lucifer penaud se laissait conduire à la geôle. Voici dans quelles circonstances. Au village de Dernou, une paysanne, Marie Hert, venait d’accoucher ; pendant qu’elle se trouvait seule dans sa chambre, elle entendit un bruit semblable à un cliquetis de chaînes, puis à l’instant même s’approcha de son lit le diable que nous venons de décrire, et qui lui dit : « Donnez-moi votre enfant nouveau-né ou les cent florins que vous avez en pièces neuves de vingt-quatre kreulzers ! » La pauvre femme intimidée indiqua au diable l’endroit où se trouvait cette somme ; le diable s’en empara et disparut.

Le jour venu, Marie Hert fit appeler son curé, et lui raconta ce qui lui était arrivé ; elle ajouta que les cent florins que le diable lui avait enlevés, elle les avait économisés sou par sou. Le bon curé lui demanda si elle n’avait dit à personne qu’elle possédât les cent florins ; elle lui répondit qu’elle n’avait confié ce secret qu’à sa sage-femme. « Alors, dit le curé, il y a peut-être un moyen d’arracher au diable votre argent. Voici ce que vous devez faire : racontez votre aventure de la nuit à votre sage-femme, et dites-lui qu’il est fort heureux que le diable ignorât que vous eussiez encore cinquante florins en bonne monnaie blanche, car autrement il vous aurait forcé à les lui livrer aussi. Si le diable revient chez vous, ne craignez rien ; je placerai dans le voisinage de votre maison un exorciste qui l’empêchera de faire le moindre mal à vous et aux vôtres. » Ce conseil, Marie Hert le suivit. Elle fit la communication dont il s’agissait à la sage-femme. Dans la même nuit, le diable lui fit une nouvelle visite, mais cette fois il n’eut pas le temps de lui demander de l’argent, car, au moment où il ouvrait la porte de la chambre, l’exorciste, c’est-à-dire un des gendarmes, le saisit par le collet. Ce prétendu diable était le mari de la sage-femme.

Encore une historiette sur les idées qu’on se fait du diable :

Rich, célèbre arlequin de Londres, sortant un soir de la comédie, appela un fiacre, et lui dit de le conduire à la taverne du Soleil, sur le marché de Clarri. À l’instant où le fiacre était près de s’arrêter, Rich s’aperçut qu’une fenêtre de la taverne était ouverte, et ne fit qu’un saut de la portière dans la chambre. Le cocher descend, ouvre son carrosse, et est bien surpris de n’y trouver personne. Après avoir bien juré, suivant l’usage, contre celui qui l’avait ainsi escroqué, il remonte sur son siège, tourne et s’en va. Rich épie l’instant où la voiture repassait vis-à-vis la fenêtre, et d’un saut se remet dedans. Alors il crie au cocher qu’il se trompe et qu’il a passé la taverne. Le cocher, tremblant, retourne de nouveau, et s’arrête encore à la porte. Rich descend de voiture, gronde beaucoup cet homme, tire sa bourse et veut le payer. « À d’autres ! monsieur le diable, s’écria le cocher, je vous connais bien ; vous voudriez m’empaumer ; gardez votre argent. » À ces mots, il fouette et se sauve à toute bride.

Nous nous représentons souvent le diable comme un monstre noir : les nègres lui attribuent la couleur blanche. Au Japon, les partisans de la secte de Sintos sont persuadés que le diable n’est que le renard. En Afrique le diable est généralement respecté. Les nègres de la Côte-d’Or n’oublient jamais, avant de prendre leur repas, de jeter à terre un morceau de pain qui est destiné pour le mauvais génie. Dans le canton d’Auté, ils se le représentent comme un géant d’une prodigieuse grosseur, dont la moitié du corps est pourrie, et qui cause infailliblement