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Page:Jacques Collin de Plancy - Dictionnaire infernal.pdf/364

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du dix-huitième siècle les gazettes d’Angleterre annoncèrent, d’après le certificat du chirurgien accoucheur, appuyé de l’anatomiste du roi, qu’une paysanne venait d’accoucher de beaucoup de lapins ; et le public le crut jusqu’au moment où l’anatomiste avoua qu’il s’était prêté à une mystification. On fit courir le bruit, en 1471, qu’une femme à Pavie, avait mis bas un chien ; on cita la Suissesse qui, en 1278, avait donné le jour à un lion, et la femme que Pline dit avoir été mère d’un éléphant. — On voit dans d’autres conteurs anciens qu’une autre Suissesse se délivra d’un lièvre ; une Thuringienne, d’un crapaud ; que d’autres femmes mirent bas des poulets[1]. Ambroise Paré cite, sur ouï-dire, un jeune cochon napolitain qui portait une tête d’homme sur son corps de cochon. Boguet assure, dans ses Discours des exécrables sorciers, qu’une femme maléficiée mit au jour à la fois, en 1531, une tête d’homme, un serpent à deux pieds et un petit pourceau. Bayle parle d’une femme qui passa pour être accouchée d’un chat noir ; le chat fut brûlé comme produit d’un démon[2]. Volaterranus se préoccupe d’un enfant qui naquit homme jusqu’à la ceinture, et chien dans la partie inférieure du corps. Un autre enfant monstrueux vint au monde, sous le règne de Constance, avec deux bouches, quatre yeux, deux petites oreilles et de la barbe. Un savant professeur de Louvain, Cornélius Gemma, écrivant à une époque où l’on admettait beaucoup de choses, rapporte qu’en 1545 une dame de noble lignée mit au monde, dans la Belgique, un garçon qui avait, au dire des experts, la tête d’un démon avec une trompe d’éléphant au lieu de nez, des pattes d’oie au lieu de mains, des yeux de chat au milieu du ventre, une tête de chien à chaque genou, deux visages de singe sur l’estomac et une queue de scorpion longue d’une demi-aune de Brabant (trente-cinq centimètres). Ce petit monstre ne vécut que quatre heures, et poussa des cris en mourant par les deux gueules de chien qu’il avait aux genoux[3].

Nous pourrions multiplier ces contes, fondés sur quelques phénomènes naturels que l’imagination des femmes enceintes a produits. Arrêtons-nous un moment aux faits prodigieux plus réels. Tels sont les enfants nés sans tête, ou plutôt dont la tête n’est pas distincte des épaules. Un de ces enfants vint au monde au village de Schmechten, près de Paderborn, le 16 mai 1565 ; il avait la bouche à l’épaule gauche et une seule oreille à l’épaule droite. Mais en compensation de ces enfants sans tête, une Normande accoucha, le 20 juillet 16844 d’un enfant mâle dont la tête semblait double. Il avait quatre yeux, deux nez crochus, deux bouches, deux langues et seulement deux oreilles. L’intérieur renfermait deux cerveaux, deux cervelets et trois cœurs ; les autres viscères étaient simples. Ce garçon vécut une heure ; et peut-être eût-il vécu plus longtemps si la sage-femme, qui en avait peur, ne l’eût laissé tomber. — Le phénomène des êtres bicéphales est moins rare que celui des acéphales. On présenta en 1779, à l’Académie des sciences de Paris, un lézard à deux têtes, qui se servait également bien de toutes les deux. Le Journal de médecine du mois de février 1808 donne des détails curieux sur un enfant né avec deux têtes, mais placées l’une au-dessus de l’autre, de sorte que la première en portait une seconde ; cet enfant était né au Bengale. À son entrée dans le monde, il effraya tellement la sage-femme que, croyant tenir le diable dans les mains, elle le jeta au feu. On se hâta de l’en retirer, mais il eut les oreilles endommagées. Ce qui rendait le cas encore plus singulier, c’est que la seconde tête était renversée, le front en bas et le menton en haut. Lorsque l’enfant eut atteint l’âge de six mois, les deux têtes se couvrirent d’une quantité à peu près égale de cheveux noirs. On remarqua que la tête supérieure ne s’accordait pas avec l’inférieure ; qu’elle fermait les yeux quand l’autre les ouvrait, et s’éveillait quand la tête principale était endormie ; elles avaient alternativement des mouvements indépendants et des mouvements sympathiques. Le rire de la bonne tête s’épanouissait sur la tête d’en haut ; mais la douleur de cette dernière ne passait pas à l’autre ; de sorte qu’on pouvait la pincer sans occasionner la moindre sensation à la tête d’en bas. Cet enfant mourut d’un accident à sa quatrième année.

Ce que nous venons de rapporter n’est peut-être pas impossible. Mais remarquez que ces merveilles viennent toujours de très-loin. Cependant nous avons vu de nos jours Ritta-Christina, cette jeune fille à deux têtes, ou plutôt ces deux jeunes filles accouplées. Nous avons vu aussi les jumeaux Siamois, deux hommes qu’une partie du ventre rendait inséparables et semblait réunir en un seul être. Pour le reste, le plus sûr est de rejeter en ces matières ce qui n’est pas certifié par de suffisants témoignages. Dans ce genre de faits, on attribuait autrefois au diable tout ce qui sortait du cours ordinaire de la nature, et il est certain qu’on exagère ordinairement ces phénomènes. On a vu des fœtus monstrueux, à qui on donnait gratuitement la forme d’un mouton, et qui étaient aussi bien un chien, un cochon, un lièvre, etc., puisqu’ils n’avaient aucune figure distincte. On prend souvent pour une cerise, ou pour une fraise, ou pour un bouton de rose, ce qui n’est qu’un seing plus large et plus coloré qu’ils ne le sont ordinairement. Voy. Frayeurs, Hallucinations, etc.

Imberta Voy. Possédées de Flandre.

  1. Bayle, République des lettres, 1684, t. III, p. 472, cité par M. Salgues.
  2. Bayle, République des lettres, 1686, t. III, p. 1018.
  3. Cornelii Gemmæ cosmocriticæ, lib. I, cap. viii.