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Page:Jacques Collin de Plancy - Dictionnaire infernal.pdf/415

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longue d’un pied hors de sa bouche[1]. On l’exorcisa, et le démon qui la possédait dit, par sa bouche, que ses meilleurs amis étaient Judas, Hérode, Pilate et Faust.

Lièvre. On raconte des choses merveilleuses du lièvre. Évax et Aaron disent que si l’on joint ses pieds avec la tête d’un merle, ils rendront l’homme qui les portera si hardi qu’il ne craindra pas même la mort. Celui qui se les attachera au bras ira partout où il voudra, et s’en retournera sans danger. — Si on en fait manger à un chien, avec le cœur d’une belette, il est sûr qu’il n’obéira jamais, quand même on le tuerait[2].

Si des vieillards aperçoivent un lièvre traversant un chemin, ils ne manquent guère d’en au-

gurer quelque mal. Ce n’est pourtant, au fond, qu’une menace des anciens augures exprimée en ces termes : Inauspicatum dat iter oblahis lepus. Cette idée n’avait apparemment d’autre fondement, si ce n’est que nous devons craindre quand un animal timide passe devant nous ; comme un renard, s’il y passe aussi, nous présage quelque imposture. Ces observations superstitieuses étaient défendues aux Juifs. Chez les Grecs modernes, si un lièvre croise le chemin d’une caravane, elle fera halte jusqu’à ce qu’un passant qui ne l’ait pas vu coupe le charme en traversant la même route[3]. — Les Romains croyaient que celui qui mangeait du lièvre pendant sept jours était par là fort embelli ; et on conte qu’Alexandre-Sévère, qui apparemment avait un grain de coquetterie, mangeait du lièvre à tous ses repas.

À l’honneur des lièvres, voy. Sakimouni.

Lièvre (Le Grand). Les Chipouyans, peuplade sauvage qui habite l’intérieur de l’Amérique septentrionale, croient que le Grand Lièvre, nom qu’ils donnent à l’Être suprême, étant porté sur les eaux avec tous les quadrupèdes qui composaient sa cour, forma la terre d’un grain de sable tiré de l’Océan et tira les hommes des corps des animaux. Mais le Grand Tigre, dieu des eaux, s’opposa aux desseins du Grand Lièvre. Voilà, suivant eux, les principes qui se combattent perpétuellement.

Ligature. On donne ce nom à un maléfice spécial, par lequel on liait et on paralysait quelque faculté physique de l’homme ou de la femme. On appelait chevillement le sortilège qui fermait un conduit et empêchait par exemple les déjections naturelles. On appelait embarrer l’empêchement magique qui s’opposait à un mouvement. On appelait plus spécialement ligature le maléfice qui affectait d’impuissance un bras, un pied ou tout autre membre.

Le plus fameux de ces sortilèges est celui qui est appelé dans tous les livres où il s’agit de superstitions, dans le curé Thiers, dans le père Lebrun et dans tous les autres, le nouement de L’aiguillette ou l’aiguillette nouée, désignation honnête d’une chose honteuse. C’est au reste le terme populaire. Cette matière si délicate, que nous aurions voulu pouvoir éviter, tient trop de place dans les abominations superstitieuses pour être passée sous silence.

Les rabbins attribuent à Cham l’invention du nouement de l’aiguillette. Les Grecs connaissaient ce maléfice. Platon conseille à ceux qui se marient de prendre garde à ces charmes ou ligatures qui troublent la paix des ménages[4]. On nouait aussi l’aiguillette chez les Romains ; cet usage passa des magiciens du paganisme aux sorciers modernes. On nouait surtout beaucoup au moyen âge. Plusieurs conciles frappèrent d’anathème les noueurs d’aiguillette ; le cardinal du Perron fit même insérer dans le rituel d’Évreux des prières contre l’aiguillette nouée ; car jamais ce maléfice ne fut plus fréquent qu’au seizième siècle. Le nouement de l’aiguillette devient si commun, dit Pierre Delancre, qu’il n’y a guère d’hommes qui osent se marier, sinon à la dérobée. On se trouve lié sans savoir par qui, et de tant de façons que le plus rusé n’y comprend rien. Tantôt le maléfice est pour l’homme, tantôt pour la femme, ou pour tous les deux. Il dure un jour, un mois, un an. L’un aime et n’est pas aimé ; les époux se mordent, s’égratignent et se repoussent ; ou bien le diable interpose entre eux un fantôme, etc. Le démonologue expose tous.les cas bizarres et embarrassants d’une si fâcheuse circonstance.

Mais l’imagination, frappée de la peur du sortilège, faisait le plus souvent tout le mal. On attribuait aux sorciers les accidents qu’on ne comprenait point, sans se donner la peine d’en chercher la véritable cause. L’impuissance n’était donc généralement occasionnée que par la peur du maléfice, qui frappait les esprits et affaiblissait les organes ; et cet état ne cessait que lorsque la sorcière soupçonnée voulait bien guérir l’imagination du malade en lui disant qu’elle le restituait. Une nouvelle épousée de Niort, dit Bodin[5], accusa sa voisine de l’avoir liée. Le juge fit mettre la voisine au cachot. Au bout de deux jours, elle commença à s’y ennuyer et s’avisa de faire dire aux mariés qu’ils étaient déliés ; et dès lors ils furent déliés. — Les détails de ce désordre sont

  1. Demonomania de Tobie Seiler, cité par Görres, t. IV, p. 360 de sa Mystique.
  2. Secrets d’Albert le Grand, p. 108.
  3. Brown, Erreurs populaires.
  4. Platon, Des lois, liv. IL
  5. Démonomanie des sorciers, liv. IV, ch. v.