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Page:Jacques Collin de Plancy - Dictionnaire infernal.pdf/435

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chaque soldat se trouva la tête engagée entre deux piquets, avec deux cornes de cerf qui l’empêchaient de se retirer. Ils restèrent longtemps dans cette posture, pendant que des enfants leur donnaient de grands coups de houssine sur les cornes… Le magicien sautait d’aise à ce spectacle, et le prince était furieux. Ayant aperçu à terre, aux pieds de Lexilis, un morceau de parchemin carré, sur lequel étaient tracés des caractères, le roi de Tunis se baissa et le ramassa sans être vu du magicien. Dès qu’il eut ces caractères dans la main, les soldats perdirent leurs cornes, les piquets s’évanouirent, Lexilis fut pris, enchaîné, mené en prison, et de là sur l’échafaud pour y être rompu. Mais ici il joua encore un tour de son métier ; car, comme le bourreau déchargeait la barre de fer sur lui, le coup tomba sur un tambour plein de vin, qui se répandit sur la place, et Lexilis ne reparut plus à Tunis…

Voici une autre histoire contée par Wierus : « Un magicien de Magdebourg gagnait sa vie en faisant des tours de son métier, des enchantements, des fascinations et des prestiges sur un théâtre public. Un jour qu’il montrait, pour quelque monnaie, un petit cheval auquel il faisait exécuter, par la force de sa magie, des choses incroyables, après qu’il eut fini son jeu, il s’écria qu’il gagnait trop peu d’argent avec les hommes et qu’il allait monter au ciel… Ayant donc jeté son fouet en l’air, ce fouet commença de s’enlever. Le petit cheval ayant saisi avec sa mâchoire l’extrémité du fouet, s’enleva pareillement. L’enchanteur, comme s’il eût voulu retenir son bidet, le prit par la queue et fut emporté de même. La femme de cet habile magicien empoigna à son tour les jambes de son mari qu’elle suivit ; enfin la servante s’accrocha aux pieds de sa maîtresse, le valet aux jupes de la servante, et bientôt le fouet, le petit cheval, le sorcier, la femme, la cuisinière, le laquais, s’enlevèrent si haut qu’on ne les vit plus. Pendant que tous les assistants demeuraient stupéfaits d’admiration, il survint un homme qui leur demanda pourquoi ils bayaient aux corneilles, et quand il le sut : « Soyez en paix, leur dit-il, votre sorcier n’est pas perdu, je viens de le voir à l’autre bout de la ville, qui descendait à son auberge avec tout son monde[1]… » Voy. Harvis.

On raconte qu’Hemmingius, théologien célèbre, cita un jour deux vers barbares dans une de ses leçons, et ajouta, pour se divertir, qu’ils pouvaient chasser la fièvre, parce qu’ils étaient magiques. L’un de ses auditeurs en fit l’essai sur son valet et le guérit. Puis après on fit courir le remède, et il arriva que plusieurs fébricitants s’en trouvèrent bien. Hemmingius, après cela, se crut obligé de dire qu’il n’avait parlé de la sorte qu’en riant, et que ce n’était qu’un jeu d’esprit. Dès lors le remède tomba ; mais il y en eut beaucoup qui ne voulurent point se dédire de la confiance qu’ils y avaient ajoutée. Les maladies n’existent souvent que dans l’imagination : telle personne guérira avec un charlatan en qui elle a confiance ; telle autre ne guérira point avec un excellent médecin de qui elle se défie.

La magie a reparu en Suède en 1859 avec une sorte d’épidémie diabolique. Voici ce qu’on écrivait alors :

« Une superstition étrange, qui a pris la forme d’une véritable épidémie, a sévi pendant l’été dernier dans quelques contrées de la Suède. Le prévôt du chapitre de Leksand, le docteur Hvaser, chargé de faire une enquête, a consigné dans son rapport les faits suivants :

« Cette superstition a beaucoup de ressemblance avec celles des sorcières du moyen âge qui croyaient avoir assisté au sabbat du diable, ce qui s’appelait en Suède aller à Blokulla. Mais cette fois, et c’est ce qu’il y a de plus curieux, ce ne sont presque que des enfants qui sont en proie à ces hallucinations. En outre, ce n’est plus à Blokulla qu’on est censé aller, mais à Josefsdal, qui doit être près de Stockholm.

» Voici ce que les enfants racontent sur leurs pérégrinations. D’abord ils sont changés en vers, et ils s’échappent au dehors à travers un trou pratiqué dans la fenêtre ; ensuite ils prennent la forme de pies, et, quand ils se sont rassemblés, ils redeviennent enfants. Alors ils montent sur des peaux de veaux ou de vaches à travers les airs vers un clocher, où ils se vouent au diable.

» Anciennement on enlevait des parcelles du métal de la cloche en prononçant ces mots : « Que mon âme n’arrive jamais au règne de Dieu avant que ce métal redevienne une cloche. » Aujourd’hui la farine a remplacé le métal, et arrivé à Josefsdal, on en prépare une bouillie appelée welling, qu’on mange en société avec le malin esprit, qui s’appelle Nordsgubb (le vieux du Nord).

» En dansant, il porte des bottes fourrées dont il se débarrasse quand il s’est échauffé. Presque tous les enfants des deux communes de Gagnef et de Mockjards sont affectés de ces hallucinations. Quelques-uns en souffrent, d’autres restent bien portants. Les parents, qui croient leurs enfants perdus et vendus au prince des ténèbres, s’en désolent. D’autres, et ce ne sont pas les moins superstitieux, quand leurs enfants ne veulent pas faire des aveux, les tourmentent d’une manière incroyable.

» Un petit garçon nommé Grabo Pehr, qui affirmait avoir été plusieurs fois à Josefsdal, prétendait y avoir vu une petite fille, et lorsque la mère de celle-ci interrogeait Grabo Pehr, il indiquait pour preuve qu’en mangeant à Josefsdal, la petite fille s’était éclaboussée à la figure, d’où il serait résulté une blessure qui ne pourrait jamais guérir. La petite fille, en effet, souffrait,

  1. Wierus, De prœst., lib. ii, cap. vii.