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Page:Jacques Collin de Plancy - Dictionnaire infernal.pdf/596

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SAB
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Ceux et celles qui vont baiser le visage inférieur du maître tiennent une chandelle sombre à la main. Il en est qui forment des quadrilles avec des crapauds vêtus de velours et chargés de sonnettes. Ces divertissements durent jusqu’au chant du coq. Aussitôt qu’il se fait entendre, tout est forcé de disparaître. Alors le grand nègre leur donne congé, et chacun s’en retourne chez soi[1].

On conte qu’un charbonnier, ayant été averti que sa femme allait au sabbat, résolut de l’épier. Une nuit qu’il faisait semblant de dormir, elle se leva, se frotta d’une drogue et disparut. Le charbonnier, qui l’avait bien examinée, prit le pot à la graisse, s’en frotta comme elle, et fut aussitôt transporté, par la cheminée, dans la cave d’un comte, homme considéré au pays ; il trouva là sa femme et tout le sabbat rassemblé pour une séance secrète. Le souper descendait là par une poulie. La femme du charbonnier, l’ayant aperçu, fit un signe : au même instant tout s’envola, et il ne resta dans la cave que le pauvre charbonnier, qui, se voyant pris pour un voleur, avoua ce qui s’était passé à son égard et ce qu’il avait vu dans cette cave[2].

 
 

Un paysan se rencontrant de nuit dans un lieu où l’on faisait le sabbat, on lui offrit à boire. Il jeta la liqueur à terre et s’enfuit, emportant le vase, qui était d’une matière et d’une couleur inconnues. Il fut donné à Henri le Vieux, roi d’Angleterre, si l’on en croit le conte[3]. Mais, malgré son prix et sa rareté, le vase est sans doute retourné à son premier maître. Pareillement, un boucher allemand entendit, en passant de nuit par une forêt, le bruit des danses du sabbat ; il eut la hardiesse de s’en approcher, et tout s’évanouit. Il prit des coupes d’argent qu’il porta au magistrat, lequel fit arrêter et pendre toutes les personnes dont les coupes portaient le nom[4]. Un sorcier mena son voisin au sabbat en lui promettant qu’il serait l’homme le plus heureux du monde. Il le transporta fort loin, dans un lieu où se trouvait rassemblée une nombreuse compagnie, au milieu de laquelle était un grand bouc. Le nouvel apprenti sorcier appela Dieu à son secours. Alors vint un tourbillon impétueux : tout disparut ; il demeura seul et fut trois ans à retourner dans son pays[5].

« Le sabbat se fait, disent les cabalistes, quand les sages rassemblent les gnomes pour les engager à épouser les filles des hommes. Le grand Orphée fut le premier qui cônvoqua ces peuples souterrains. À sa première semonce, Sabasius, le plus ancien des gnomes, contracta alliance avec une femme. C’est de ce Sabasius qu’a pris son nom cette assemblée, sur laquelle on a fait mille contes impertinents. Les démonomanes prétendent aussi qu’Orphée fut le fondateur du sabbat, et que les premiers sorciers qui se rassemblèrent de la sorte se nommaient orphéotélestes. La véritable source de ces orgies sinistres a pu prendre naissance dans les bacchanales, où l’on invoquait Bacchus en criant : Saboé ! »

Dans l’affaire de la possession de Louviers, Madeleine Bavent, tourière du couvent de cette ville, confessa des choses singulières sur le sabbat. Elle avoua qu’étant à Rouen, chez une couturière, un magicien l’avait engagée et conduite au sabbat ; qu’elle fut mariée là à Dagon, diable d’enfer ; que Mathurin Picard l’éleva à la dignité de princesse du sabbat, quand elle eut promis d’ensorceler toute sa communauté ; qu’elle composa des maléfices en se servant d’hosties consacrées ; que, dans une maladie qu’elle éprouva, Picard lui fit signer un pacte de grimoire ; qu’elle vit accoucher quatre magiciennes au sabbat ; qu’elle aida à égorger et à manger leurs enfants ; que le jeudi saint on y fit la cène en y mangeant un petit enfant ; que, dans la nuit du vendredi, Picard et Boulé avaient percé une hostie par le milieu, et que l’hostie avait jeté du sang. De plus, elle confessa avoir assisté à l’évocation de l’âme de Picard, faite par Thomas Boulé dans une grange, pour confirmer les maléfices du diocèse d’Évreux. Elle ajouta à ces dépositions, devant le parlement de Rouen, que David, premier directeur du monastère, était magicien ; qu’il avait donné à Picard une cassette pleine de sorcelleries, et qu’il lui avait délégué tous ses pouvoirs

  1. M. Jules Garinet, après Delancre, Bodin, Delrio, Maiol, Leloyer, Danæus, Boguet, Monstrelet, Tor-quemada, etc.
  2. Delrio, Disquisitions magiques, et Bodin, p. 30.
  3. Trinum magicum.
  4. Joachim de Cambrai.
  5. Torquemada, dans l’Hexameron.