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Page:Jacques Collin de Plancy - Dictionnaire infernal.pdf/727

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fosse où ils déposèrent le défunt, le corps découvert, ensevelissant avec lui deux pains et quelques pièces de monnaie, comme s’il en avait eu besoin pour le voyage de l’autre monde. Alors s’approchèrent les gitanas, toutes échevelées et s’égratignant le visage à qui mieux mieux ; venaient ensuite les hommes invoquant les saints et surtout le grand saint Jean-Baptiste, pour lequel ils ont une dévotion particulière, lui criant comme à un sourd de les écouter et d’obtenir pour le mort le pardon de ses péchés. Quand ils se furent enroués à crier, ils allaient rejeter la terre dans la fosse, mais je les priai d’attendre que j’eusse dit deux mots ; on m’accorda ma requête, et moi, du ton le plus humble, je dis à peu près : « Votre compagnon est déjà allé jouir de la vue de Dieu, car il faut bien l’espérer de sa bonne vie et de sa bonne mort. Vous avez rempli vos obligations en le recommandant au Seigneur et en lui donnant la sépulture ; mais qu’il soit enterré vêtu ou nu, peu lui importe à lui, tandis qu’il peut m’être à moi d’un grand secours de profiter de ses habits. Si vous voulez donc bien permettre que je m’en empare et m’en vêtisse, je me souviendrai toujours, dans mes oraisons, de ce bienfait accordé à ma misère et à ma nudité. » Ce discours parut fort raisonnable ; et j’eus le bonheur de ne pas être contredit. Ils me dirent de faire ce que je désirais. J’obéis, et me voilà cette fois vêtu en vrai gitano, sans en avoir encore l’esprit et les mœurs. Je rendis le corps du mort à sa sépulture, et l’ayant recouvert de terre, je le laissai là jusqu’au jour du jugement, où il reparaîtra, comme nous tous, pour rendre ses comptes. »

Voici d’autres anecdotes :

« Charles-Quint, en venant prendre possession du trône d’Espagne, amena à sa suite une cour d’étrangers, Flamands la plupart, qui révoltèrent bientôt l’orgueil castillan. Charles lui-même, jeune, mais tourmenté d’une vaste ambition et rêvant déjà l’empire d’Allemagne, semblait trouver ses sujets de la Péninsule trop heureux de lui payer les frais de son élection. Il s’étonna beaucoup de l’opposition des cortès quand il fut question de voter les impôts ; mais pressé de se rendre auprès des électeurs germaniques, il partit pour Worms, laissant à ses ministres le soin de résister aux comuneros. Cette ligue comprenait l’alliance de tous les intérêts castillans : elle voulait une souveraineté nationale et imposait à Charles de choisir entre la couronne d’Espagne et celle d’Allemagne.

» On voit dans l’histoire les luttes de Juan de Padilla et de sa vaillante épouse, dona Maria de Pacheco ; mais le mystère de cette ligue ne s’explique que par les traditions des gitanos. On avait prédit à dona Maria qu’elle serait reine. Dans ses épîtres familières, Guevarra lui écrivait : « On sait, madame, que vous avez auprès de vous une sorcière qui vous a promis qu’en peu de jours vous seriez appelée haute et puissante dame et votre mari altesse. » Cette sorcière était une gitana. Dans une des ballades traditionnelles des gitanos, on trouve ces mots : « Je donnerai un de ses fromages magiques à Maria Padilla et aux siens. » Disons d’abord qu’il ne peut être ici question de la première Maria Padilla, femme du roi don Pedro, puisque les gitanos n’étaient pas encore en Espagne sous le règne de ce prince. Il paraît que dona Maria Pacheco ou Padilla, car elle est désignée tantôt par un de ces noms, tantôt par l’autre, s’échappa de Tolède avec sa sorcière, déguisée elle-même en gitana. Cette sorcière était attachée à sa personne depuis longtemps et l’abusait par les apparences, sans doute aussi par les flatteries de son affection perfide ; elle lui persuada que les gitanos de sa tribu la transporteraient en Portugal avec son plus jeune fils, son or et ses bijoux. Les gitanos l’attendaient en effet dans la montagne ; mais, pour s’emparer de cet or et de ces bijoux, ces misérables assassinèrent la mère et l’enfant.

» Si cette tradition espagnole est vraie, jamais action plus odieuse n’a été commise par les gitanos. Los gitanos son muy malos : Les gitanos sont de bien méchantes gens. Cette phrase proverbiale est de bien vieille date en Espagne. Selon les Espagnols, les gitanos ont toujours été des escrocs, des voleurs, des sorciers ; et ils ajoutent, chose plus difficile à prouver, heureusement : Les gitanos mangent de la chair humaine. Mais il est un autre crime qu’il est impossible de nier : Los gitanos son muy malos ; llevan niños hurtados a Berbería : Les gitanos sont très-méchants ; ils transportent les enfants volés en Barbarie… afin de les vendre aux Maures. Il paraît évident que les gitanos ne cessèrent jamais d’entretenir des relations avec les Maures d’Afrique depuis leur expulsion d’Espagne. Les gitanos, n’ayant pas plus de sympathie pour un peuple que pour l’autre, devaient vendre des enfants espagnols aux Barbaresques, comme ils auraient vendu des enfants barbaresques aux Espagnols, si ceux-ci en eussent voulu acheter. Bien mieux, par leurs rapporte avec les pirates, ils leur devaient souvent servir d’espions lorsque ceux-ci méditaient quelque invasion sur les côtes d’Espagne. Voilà comment ils ont pu paraître plus Maures que chrétiens. Aussi ne démentirai-je pas l’anecdote de Quiñones qui raconte que, lors du siège de Mamora, deux galères espagnoles ayant échoué sur un récif de la côte d’Afrique, les Maures firent esclaves les chrétiens des équipages, délivrèrent les Maures enchaînés à la rame et traitèrent également comme une race amie tous les gitanos à bord des deux bâtiments. » Voy. Bohémiens.

Ziton. Pendant les noces de Venceslas, fils de