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Page:James - Les Papiers de Jeffrey Aspern, paru dans le Journal des débats, 1920.djvu/64

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— Ah ! elle a si peu à léguer ! C’est pour cela qu’elle tient à l’argent, dit Miss Tina.

— Oserai-je vous demander, puisque nous sommes sur ce sujet, de quoi vous vivez, toutes deux ?

— D’argent qui vient d’Amérique par les mains d’un Monsieur, un notaire, je crois, de New York. Il nous l’envoie chaque trimestre. Ce n’est guère !

— N’aura-t-elle pris aucune disposition pour cela ?

Ma compagne hésita : je vis qu’elle rougissait.

— Je crois que tout est à moi, dit-elle. Son regard et le ton de ses paroles témoignaient d’un oubli si habituel d’elle-même que je fus sur le point de la trouver charmante. L’instant d’après, elle ajouta :

— Mais elle a demandé une fois un « avvocato », il y a extrêmement longtemps. Et il est venu des gens qui ont signé quelque chose.

— C’étaient des témoins, probablement. Et on ne vous a pas demandé de signer ? Eh bien, alors, raisonnai-je rapidement et plein d’espérance, c’est parce que vous êtes sa légataire. Elle doit vous avoir laissé tous les documents !

— Si elle l’a fait, ce doit être avec des conditions très strictes, répondit Miss Tina en se levant hâtivement, et le mouvement donnait à ses paroles une certaine apparence de décision. Elles semblaient signifier que le legs serait accompagné de la restriction que les objets légués devaient demeurer cachés à tous les yeux, et que je me trompais grossièrement si je la supposais capable de désobéir à une injonction aussi absolue.

— Oh ! bien entendu ! Vous devrez respecter les termes du testament, dis-je. Et elle ne prononça rien pour adoucir la rigueur de cette conclusion. Néanmoins, un peu plus tard, juste avant de débarquer à la porte, après un retour effectué dans un silence presque complet, elle me dit brusquement :

— Je ferai ce que je pourrai pour vous aider.

Je lui en fus très reconnaissant : c’était parfait pour le moment ; mais cela ne m’empêcha pas, pendant l’heure d’insomnie fiévreuse que j’eus cette nuit-là, de me rappeler que j’avais maintenant sa propre affirmation pour fortifier ma conviction que la vieille femme avait plus d’un tour dans son sac.