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Page:James - Les Papiers de Jeffrey Aspern, paru dans le Journal des débats, 1920.djvu/77

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Miss Bordereau avait été dépouillée de la visière verte, mais — je ne devais pas avoir l’heureuse fortune de contempler Juliana en bonnet de nuit — la partie supérieure de son visage était couverte par une espèce de mousseline ou de dentelle malpropre, une sorte de capuchon informe qui tournait autour de sa tête et descendait jusqu’au bout de son nez, ne laissant de visible que ses joues ridées et ses lèvres crevassées, étroitement serrées, comme par une expresse volonté. Miss Tina me jeta un coup d’œil étonné, ne voyant évidemment aucune raison à mon impatience.

— Vous voulez dire qu’elle porte toujours quelque chose ? Elle le fait pour les préserver.

— À cause de leur beauté ?

— Oh ! aujourd’hui !… et Miss Tina parlait à voix basse en secouant la tête, mais ils ont été splendides.

— Aspern nous l’a dit lui-même !

— C’est vrai !

Et, regardant de nouveau les chiffons dont s’enveloppait la vieille femme, je m’imaginai qu’elle ne voulait pas laisser supposer une exagération du grand poète. Mais je ne perdis pas mon temps à considérer Juliana, dont la respiration était si faible qu’elle faisait douter de la possibilité de la sauver. Une fois de plus, mes yeux parcouraient la chambre, fouillant les cabinets, les commodes, les tables.

Miss Tina nota immédiatement leur direction, et lut aussi, je crois, ce qui s’y dissimulait : mais elle n’y répondit pas, et se détourna, anxieuse et agitée ; je sentis qu’elle me reprochait, bien justement, mon avidité, qui frisait l’indécence, en présence de notre compagne mourante. Tout de même, j’envisageais la situation sous un autre angle, m’efforçant de discerner quel meuble devait être interrogé le premier, si quelqu’un voulait porter la main sur les papiers de Miss Bordereau