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Page:James Guillaume - L'Internationale, III et IV.djvu/122

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cas où l’un de vous désirerait me rencontrer pour un entretien personnel, que je partirai d’ici, le 2 ou le 3 septembre, pour me rendre à Berne... Ainsi prennent fin, pour l’instant, nos relations pour la cause, mais nullement nos relations personnelles, auxquelles je crois si bien, que j’espère que par elles, dans un temps pas trop éloigné, seront renouvelées nos relations pour la cause. »

Cet espoir ne devait pas se réaliser : au contraire, en septembre, la rupture devait s’aggraver de récriminations réciproques qui la rendirent irrémédiable.


En Italie, les persécutions gouvernementales n’avaient pas arrêté les progrès de l’Internationale. En dehors des journaux socialistes déjà existants, la Fédération italienne voulut avoir son organe à elle : ce fut le Bollettino della Federazione italiana dell’ Internazionale, dont le premier numéro parut en mai 1873 ; il y avait dans ce numéro (dit notre Bulletin du 1er juin 1873) un remarquable Appel adressé aux paysans, et un article faisant l’historique des persécutions subies par l’Internationale en Italie. Costa nous écrivait de Bologne, le 4 juillet : « La Fédération italienne n’a pas, il est vrai, l’organisation formidable de la Fédération espagnole ; mais nos principes sont extrêmement répandus parmi le peuple, et les instincts révolutionnaires des prolétaires italiens sont des meilleurs... Notre peuple est plus mûr qu’on ne le pense, et la servitude séculaire n’a pas énervé les instincts révolutionnaires chez les ouvriers manuels, en particulier dans les petites localités, et surtout dans les campagnes. » (Bulletin.) Une communication de la Commission italienne de correspondance (26 juin) annonçait la création d’une vingtaine de nouvelles sections, l’apparition d’un journal socialiste à Sienne, le Risveglio, et la préparation de trois Congrès provinciaux (Romagne, Marches et Ombrie, Emilie). Le premier de ces Congrès, celui des Sections romagnoles, eut lieu le 20 juillet à San Pietro in Vincoli, village de la province de Ravenne : trois fédérations locales et quinze sections y étaient représentées ; le Congrès nomma un délégué pour le Congrès général qui allait avoir lieu en Suisse. Le Congrès des Sections des Marches et de l’Ombrie eut lieu le 1er août à Pietro la Croce près d’Ancône.

L’activité des militants de la Fédération italienne avait été intimement liée, dès le début, à celle de Bakounine ; et des relations ainsi nouées naquit un projet dont je dois exposer ici l’origine et la réalisation ; le changement qui en résulta dans la position de Bakounine devait modifier profondément la manière de sentir et d’agir du vieux révolutionnaire.

Carlo Cafiero (né en septembre 1846) appartenait, comme on le sait, à une famille de riche bourgeoisie ; son père était mort récemment, et, bien que l’héritage paternel dût être partagé entre plusieurs ayants-droit, la part qui revenait à notre ami lui assurait une fortune considérable ; mais les opérations nécessaires à la liquidation de cet héritage devaient être assez longues, Cafiero avait résolu de mettre les ressources qu’allait lui procurer cette fortune à la disposition du parti socialiste italien ; et il décida de consacrer tout d’abord une somme d’une vingtaine de mille francs à l’acquisition à Locarno d’une maison dont Bakounine deviendrait le propriétaire nominal. Dans cette demeure, le vieux révolutionnaire, qui dès ce moment songeait à se retirer de la vie militante, mènerait ostensiblement une existence bourgeoise ; il serait censé avoir reçu de ses frères, en Russie, la part qui lui revenait de l’héritage paternel. En réalité, la maison, située à proximité de la frontière, servirait de rendez-vous et de retraite aux révolutionnaires italiens qui viendraient y conspirer. Ce plan fut élaboré pendant l’hiver 1872-1873 ; l’emprisonnement de Cafiero à Bologne, en mars 1873, en retarda la réalisation ; mais sitôt remis en liberté, en mai, Cafiero se rendit à Barletta, sa ville natale, pour y activer le plus possible la réalisation d’une partie de ses capitaux. Bakounine, dans l’intervalle, devait chercher et choisir la propriété qu’il s’agissait d’acquérir, et il reçut de Cafiero pleins-pouvoirs pour l’acheter en son propre nom. Il jeta son dévolu sur une maison de campagne appelée la Baronata, située sur la route de Locarno à Bellinzona, au bord du lac, dans la commune de Minusio, et en devint le propriétaire par un acte en due forme. L’achat de cette propriété eut, comme on le verra, des résultats fâcheux ; Bakounine et Cafiero, qui n’avaient pas la