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Page:James Guillaume - L'Internationale, III et IV.djvu/309

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avec tant d’autres victimes de la férocité versaillaise ; il est actuellement proscrit par le gouvernement qui déshonore la France. Nous tenons à le rappeler en terminant, car ce ne sera pas là, aux yeux de la postérité, un de ses moindres titres de gloire. On dira de lui plus tard : « Il fut le premier géographe de son temps, et l’un des combattants de la Commune ».


La veuve de Constant Meuron avait continué à habiter Saint-Sulpice après la mort de son mari (voir t. II, p. 283) ; une de ses sœurs vivait avec elle. J’allais la voir de temps en temps, et nous parlions du passé. Je l’appelais « grand-maman Meuron », depuis qu’une enfant m’était née. Elle m’écrivait, le 28 novembre 1872 : « J’ai beaucoup souffert depuis le départ de mon cher et toujours plus regretté mari, mais je veux attendre le plaisir de vous voir pour ouvrir mon cœur et le soulager en versant dans le vôtre le trop-plein de tant de douleur. Je ne suis pas à plaindre sous le rapport matériel ; j’ai tout ce qu’il faut pour être tranquille, mais le cœur aussi a ses besoins... J’ai vieilli de vingt ans depuis la perte de mon ami... Croyez, mon enfant, à l’attachement de votre vieille amie, et au revoir. » Elle perdit sa sœur en avril 1873 ; et alors elle se trouva bien seule, quoique deux de ses nièces allassent le plus souvent possible passer quelques semaines auprès d’elle. L’une d’elles, Delphine Fasnacht, m’écrivait le 22 octobre 1873 : « Ma tante profite de ma présence pour me faire écrire quelques lettres pressantes, dont la première doit être pour vous... S’il vous était possible de venir la voir, elle aurait un plaisir infini de votre visite, car elle parle toujours de vous comme de son propre fils... Ma pauvre tante souffre beaucoup de l’ennui et de l’isolement. » Je formai le projet de décider Mme Meuron à venir habiter chez moi, et je lui écrivis à plusieurs reprises pour tâcher de la persuader. Elle me répondit, le 2 janvier 1871, par ce billet au crayon : « J’ai bien reçu vos bien chères lettres, mais je suis trop malade pour y répondre ou former le moindre projet. Vous connaissez mon estime pour vous ainsi que mon désir de passer le reste de ma vie près de vous et votre chère famille ; mais dans l’état où je me trouve je ne sais que faire ni que dire. J’attends ma nièce Borel qui, je crois, se fixera chez moi pour tout le temps qu’une autre tante lui laisse. Elle aura la bonté de vous écrire pour moi, car je ne puis pas tenir la plume et ma tête tourne. » Il fallut renoncer à voir Mme Meuron quitter Saint-Sulpice ; mais sa santé se remit un peu, et elle m’écrivait, le 7 novembre 1874, sur un ton moins triste : « Remerciez bien Madame Guillaume de son attention et de la peine qu’elle a prise de me faire un si beau et bon châle, qui me fait vraiment bien plaisir... L’Almanach que vous avez la bonté de m’offrir me fera plaisir, comme aussi, plus tard, le livre que vous venez d’écrire[1]. Vous voyez que je suis toujours encore curieuse, et que, malgré mon grand isolement et mes tristesses, je reste femme. Mes sincères amitiés à vos dames, et un bon baiser à ma petite Mimi. Adieu. Votre affectionnée grand’maman Meuron. » Hélas ! la pauvre grand’maman Meuron n’avait plus que quelques mois à vivre : au printemps de 1875 elle alla rejoindre au cimetière de Saint-Sulpice celui qu’elle avait tant pleuré.


Nous avons laissé Bakounine dans la plus grande détresse ; car, malgré le succès de la mission de Mme Lossowska, il ne pouvait pas espérer de toucher de l’argent tout de suite ; et, en attendant, il se trouvait sans aucune ressource. À sa lettre du 19 décembre, Emilio Bellerio n’avait rien répondu ; Bakounine lui récrivit (en français) le 10 janvier 1875 : « En d’autres circonstances ma fierté aurait dû m’empêcher de t’écrire, après le silence dédaigneux par lequel tu as répondu à ma dernière lettre. Mais la nécessité que je subis en ce moment est si pressante, d’un côté, et, de l’autre, ma foi dans ton amitié fidèle et sérieuse est si grande, malgré toutes les boutades de ton humeur, que je me retourne avec pleine confiance vers toi. J’ai besoin, mais absolument besoin, de 200 francs, non pour moi seul, mais pour l’entretien de toute la fa-

  1. Il s’agit de la première série des Esquisses historiques.