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Page:James Guillaume - L'Internationale, III et IV.djvu/317

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sympathies en Europe, non seulement chez les socialistes, mais aussi dans la bourgeoisie libérale. Des volontaires italiens, français, russes, polonais, allèrent se joindre aux insurgés. L’insurrection se prolongea pendant les deux années suivantes, mais sans prendre, comme l’avaient espéré ceux des révolutionnaires qui étaient allés lui apporter leur concours, un caractère socialiste.


En Russie, le gouvernement faisait tout son possible pour triompher du socialisme. En juin 1875, le comte Pahlen, dont j’ai mentionné la circulaire aux procureurs, fit distribuer aux diverses autorités un Mémoire secret, imprimé, relatif « à la propagande criminelle qui vient d’être découverte dans quelques parties de l’empire ». En transmettant ce document aux directeurs des universités et des gymnases, le ministre de l’instruction publique appela leur attention sur le fait que les jeunes gens, « au lieu de trouver dans leur entourage et dans leurs familles de la résistance aux doctrines exaltées et aux utopies politiques dont ils sont infectés, n’y rencontrent souvent, au contraire, que des encouragements et un appui ». En conséquence, c’était, disait le ministre, aux professeurs à remplacer les parents, et à donner à la jeunesse des avertissements salutaires. Le Bulletin reproduisit la lettre du ministre (11 juillet), et ajouta : « Les circulaires ministérielles, les exhortations des professeurs et des magistrats n’y feront rien. La Russie est dans une situation analogue à celle de la France du dix-huitième siècle ; et, de même que nulle digue n’aurait pu empêcher la propagation des idées de Voltaire et des encyclopédistes, de même aucun pouvoir humain ne sera capable de mettre obstacle à la diffusion des principes socialistes qui préparent en Russie, pour un avenir prochain, une explosion bien autrement formidable que celle qui a renversé la monarchie française au siècle dernier. »

Les lettres de Zaytsef, que continuait à publier le Bulletin, étaient pleines de détails sur les mesures répressives ; elles parlaient d’un « procès monstre » qui comprendrait 788 accusés, elles annonçaient de nouvelles déportations en Sibérie[1], elles racontaient les « désordres » dans les provinces, la misère des paysans. Elles contiennent (numéros des 5 et 12 septembre) des extraits du Mémoire secret de Pahlen, qui venait d’être réimprimé en russe à Genève et à Londres, et dont une traduction française allait paraître. C’est par ce Mémoire que nous apprîmes à connaître les noms de Mme Lioubotina, de Natalie Armfeld, de Varvara Batouchkova, de Sophie Perovskaïa ; de Kraftchinskv, de Rogatchof, de Voïnaralsky, etc. ; il constatait l’influence exercée par Bakounine : «Les œuvres de Bakounine et la prédication de ses disciples ont eu une influence positive et effroyable sur la jeunesse » ; et il montrait comment les révolutionnaires s’y étaient pris pour que la découverte d’un de leurs groupes n’entraînât pas celle des autres : « Le plan des propagandistes, dont les traits généraux sont exposés dans le programme du prince Pierre Kropotkine, offre ce danger que, quelque énergiques que soient les enquêtes et la poursuite des coupables, plusieurs groupes séparés resteront indubitablement non découverts et continueront infatigablement leur activité criminelle ». Ce qui effrayait surtout le gouvernement, c’était l’approbation donnée à ce mouvement par nombre de personnes qui n’y étaient pas directement engagées : « Le succès des propagandistes, disait le Mémoire, a dépendu moins de leurs propres efforts que de la facilité avec laquelle leurs doctrines étaient accueillies dans les différentes classes de la société et de la sympathie qu’ils y trouvaient ».


En 1873 et en 1874, le Congrès annuel de la Fédération jurassienne avait eu lieu en avril. En 1875, diverses circonstances le firent ajourner jusqu’à l’été. Dans son numéro du 3 juillet, le Bulletin annonça que le Congrès se tiendrait à Vevey. Une circulaire du Comité fédéral, du 14 juillet, convoqua les délégués

  1. « Le prince Alexandre Kropotkine, pour avoir écrit à un de ses amis, habitant l’étranger, une lettre désagréable au gouvernement, et pour avoir montré du mépris pour le procureur qui l’avait accompagné à une entrevue avec son frère emprisonné, vient d’être déporté, par ordre administratif, à Minossinsk (province d’Iénisséi, Sibérie). » (Bulletin du 1er août 1875.)