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Page:James Guillaume - L'Internationale, III et IV.djvu/400

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avait pas d’organisation sérieuse. Pour aider à la propagande, de quinzaine en quinzaine des conférenciers, appelés généralement du dehors, traitaient des sujets variés : le samedi 13 mai, Brousse avait parlé de l’organisation des forces ouvrières, et Lefrançais avait fait un exposé des différentes théories socialistes depuis 1789 ; le 27 mai les sujets furent : « la Commune et l’organisation ouvrière avant 1789 », par E. Teulière, et « Fraternité et solidarité », par N. Joukovsky ; le 10 juin, Ch. Perron[1], de la Section de Vevey, traita de l’organisation des corps de métier, et Joukovsky parla des statuts de l’Internationale.

À Bâle, une assemblée assez nombreuse d’ouvriers italiens avait fondé, le 11 juin, une société de résistance ; et malgré les efforts d’un pasteur protestant italien, qui tâcha, dans une autre réunion, de décourager les ouvriers, la société se constitua la semaine suivante en section de l’Internationale adhérente à la Fédération jurassienne.

Dans la première moitié de juin, un industriel français établi à Neuchâtel, J.-B. Chabaury, fabricant de treillages et homme à idées, adressa au Bulletin une lettre où il développait le programme d’un socialisme de son invention, qu’il appelait le fonctionnarisme. Le Bulletin (no 25) publia sa lettre, signée des initiales J. B. C., pour l’amusement de ses lecteurs. L’excellent Chabaury disait :


À Monsieur le rédacteur du Bulletin, à Sonvillier.


Depuis 1848, j’appartiens à la classe des communistes-fonctionnaires de l’État ; aussi je lis avec intérêt dans le Bulletin les débats entre les communistes autoritaires et les collectivistes non-autoritaires, c’est-à-dire anarchistes comme le voulait Proudhon… Vous vous occupez de questions sociales, et il est plus que probable que vous les étudierez encore longtemps sans en trouver la solution… La vérité, la voici : La société actuelle comporte déjà le communisme partiel ; il n’y a qu’à le développer, et pour cela il n’y a pas autre chose à faire que ce qui se fait tous les jours : agrandir le cercle du fonctionnarisme actuel. Oui, le fonctionnarisme, car ce n’est pas autre chose que le communisme, et c’est au fonctionnarisme que nous marchons tous… L’État veut tout englober, et il a raison. Voyez : déjà l’Allemagne s’empare des chemins de fer et va les faire marcher pour le compte de l’État, comme de juste. Déjà, en France, l’État est : agriculteur pour le tabac ; fabricant de tabac ; fabricant de poudre ; fabricant d’allumettes chimiques ; fabricant de fusils ; fabricant de porcelaine ; fabricant de tapis ; entrepreneur de ponts et chaussées, de canaux, de mines ; entrepreneur d’instruction, etc….. Calculez maintenant le nombre immense de tous les fonctionnaires occupés par l’État, ajoutez-y les prêtres, les magistrats, les douaniers, les gendarmes, etc., et vous verrez qu’il n’y a pas beaucoup à faire pour rendre tout le monde fonctionnaire de l’État…

Maintenant, qui sont les plus heureux : ou les fonctionnaires, mangeant au râtelier, comme on dit, travaillant sept heures par jour, dégagés de tout souci, ou bien les ouvriers qui dans l’industrie privée travaillent onze heures, subissent les chômages, les temps de maladie, et ne gagnent qu’une journée minime et le plus souvent aléatoire, sans aucun espoir pour l’avenir ? Tout le monde répondra : Les plus heureux, ce sont les fonctionnaires…

  1. Charles Perron, qui avait été obligé de quitter Genève en 1872, faute de travail, était rentré en Suisse après une absence de trois ans ; et, devenu cartographe, il collaborait à la grande publication géographique d’Élisée Reclus.