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Page:James Guillaume - L'Internationale, III et IV.djvu/47

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Ils accusent Marx de s’être servi d’eux contre la minorité, et de les avoir ensuite joués par le vote qui a transféré le Conseil général en Amérique. Ce transfert leur a ouvert les yeux sur les visées de Karl Marx, qui voulait absolument garder le Conseil général sous son influence personnelle, et qui a imaginé de le placer à New York, sous la direction de son homme lige, le caporal Sorge, comme l’appelait un délégué anglais au Congrès de la Haye, parce que, si le Conseil général était resté à Londres, Marx courait le risque de voir les ouvriers anglais et les réfugiés français y prendre la haute main.

Et voilà ce que disent une partie de ceux qui se sont aidés à faire le coup d’État de la Haye. Dépités de s’être vu jouer, ils viennent révéler le secret de la comédie, pour employer leurs propres expressions. C’est très édifiant, en vérité.

Du moins ces jacobins sont logiques. Ils avaient rêvé de transformer l’Internationale en une association politique, instrument discipliné entre les mains de quelques chefs, futurs hommes d’État de la révolution. Ils n’y ont pas réussi, — ils se retirent : à la bonne heure.

Débarrassée des jacobins, il ne reste plus à l’Internationale d’autres ennemis intérieurs que la coterie de Marx. Mais, si nous jugeons par ce qui se passe dans toutes les fédérations, cette coterie est réduite à l’impuissance, et toutes ses manœuvres souterraines ne lui permettront pas de ressaisir une autorité que la Déclaration de la minorité de la Haye a brisée pour jamais.


Engels écrivit à Sorge (16 novembre 1872), à propos du manifeste blanquiste : « Serraillier va répondre dans la Liberté et dans l’Égalité à ces fadaises (Machwerk)... La brochurette te divertira ; Vaillant y déclare que toutes nos théories économiques et sociales sont des découvertes blanquistes. Outre Paris, où le long Walter[1] est leur agent, ils ont déjà suscité des noises en différents endroits. Bien qu’ils ne soient pas dangereux, il ne faut pas leur fournir les moyens d’en susciter davantage : aussi ne devras-tu communiquer aucune adresse à Dereure. » Un peu plus tard (7 décembre), à propos de la réplique aux blanquistes, que Serraillier avait envoyée à l’Égalité de Genève, jadis le docile organe de Marx, Engels écrit : « Les ânes de l’Égalité disent que c’est trop personnel, et ne veulent pas l’insérer ». La dissidence entre les marxistes et les hommes du Temple-Unique ne devait pas tarder à s’accentuer.


Le Conseil général de New York avait été créé pour servir de simple prête-nom : l’autorité réelle devait rester entre les mains qui l’avaient jusqu’alors détenue. À cet effet, le Conseil fut invité par Marx et Engels à choisir des représentants auxquels il donnerait des pleins-pouvoirs : Marx pour l’Allemagne[2], Engels pour l’Italie, Serraillier pour la France. Engels, dans ses lettres à Sorge, l’entretient non seulement de l’Italie, mais de toutes les intrigues nouées dans les divers pays d’Europe. Voici quelques extraits amusants de sa correspondance :

« Bignami est le seul individu qui ait pris notre parti en Italie, — écrit Engels

  1. Sur Walter (de son vrai nom Van Heddeghem), voir t. II, p. 326.
  2. « Une indication du Volksstaat nous a appris que toute la correspondance d’Allemagne devait passer entre les mains de Marx avant d’être envoyée en Amérique. » (Mémoire de la Fédération jurassienne, p. 276.) — Engels avait écrit le 16 novembre 1872 à Sorge : « Pour l’Allemagne, il serait bon que Marx reçût du Conseil général des pleins-pouvoirs, afin qu’il pût agir en cas de besoin contre les schweitzeriens ».