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Page:James Guillaume - L'Internationale, III et IV.djvu/519

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portée morale bien plus attentatoire à la dignité humaine, par exemple les rapports du confesseur et des confessés, de l’usurier et du débiteur, du bienfaiteur et de l’ingrat, de la bonne mère et du mauvais fils, du geôlier et du prisonnier, du corrupteur et de la prostituée ? N’y a-t-il pas là des ulcères sociaux autrement hideux et gangrenés que celui que l’Internationale se plait à nommer le prolétariat, les revendications des travailleurs[1] ?... Aussi devons-nous avoir une légitime crainte de l’étroitesse de vues, et d’une facile partialité de ceux qui placent leurs misères au-dessus de toutes les autres. »

M. Friche trouve donc que l’Internationale se trompe, lorsqu’elle affirme que la question économique, la question de l’organisation de la propriété et du travail, est la question vitale d’où dépend tout le reste... Nous avions cru que tous les hommes intelligents, aujourd’hui, avaient compris cette vérité : que les institutions religieuses et politiques d’une société, sa morale, ses mœurs, ses arts, ne sont autre chose que des produits de sa situation économique. Laissez subsister les bases des institutions économiques, vous ne pourrez apporter aucun changement sérieux dans les relations sociales ; modifiez, au contraire, les bases de l’organisation économique : du même coup, vous modifiez tout le reste.

M. Friche fait, dans un autre endroit de son rapport, un portrait fort réussi du socialiste : « Il n’aime ni le thème, ni les pédagogues ; l’orthographe est pour lui un non-sens, la religion une duperie, la police une tyrannie, l’État un escamotage, l’érudition de l’humanité un bagage d’asservissement. Son école est le cabaret : c’est là qu’il étudie la quintessence de la science morale, dont le programme semble être : agir. »

Il y a là dedans quelques vérités. Va pour la religion, la police et l’État, que nous apprécions en effet de cette façon ; va même quelquefois pour le cabaret, bien que nous connaissions pas mal d’ivrognes dans les rangs des libéraux. Mais pour ce qui est de l’orthographe, parlez pour vous, Monsieur Friche.


Comme conclusion, M. Friche avait recommandé aux ouvriers de s’organiser en sociétés coopératives de production et en sociétés de consommation, et avait proposé la fondation d’une banque d’épargne et de prêts. De son côté, M. le préfet Stockmar demanda que la Société libérale d’Ajoie adhérât à une demande de revision de la constitution bernoise, à ce moment agitée dans la presse, revision dans laquelle M. Stockmar voyait « non pas la solution de la question sociale, mais le moyen de réaliser des améliorations dans le domaine politique et social ». Trois orateurs socialistes répondirent aux porte-paroles du parti libéral en développant le point de vue de l’Internationale.

Les conclusions de MM. Friche et Stockmar furent de nouveau discutées dans une assemblée réunie le 4 février, et les socialistes les combattirent énergiquement.


À Saint-Imier, la Fédération du district de Courtelary avait organisé des réunions publiques périodiques, tous les quinze jours, le lundi, dans la grande salle du Lion d’Or. Celle du 8 janvier eut pour ordre du jour : « Les partis reli-

  1. Dans l’original, publié par le Progrès de Delémont, on lit cette phrase comme suit : « N’y a-t-il pas là des ulcères sociales autrement hideuses et gangrenées que celles que l’Internationale se plait à nommer le prolétariat, etc. » Nous avons cru pouvoir, sans être accusés de présomption, corriger le français de M. le directeur de l’école normale. (Note du Bulletin.)