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Page:James Guillaume - L'Internationale, III et IV.djvu/522

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Nature, il trouva, par l’entremise du secrétaire de la rédaction de ce périodique, M. Keltie, un assez gros travail — travail qu’il pouvait exécuter n’importe où — à faire pour un dictionnaire géographique anglais (un Gazetteer) alors en préparation : il fut chargé de la Russie et de la Sibérie. Il vint une première fois à Neuchâtel passer quelques jours, au commencement de décembre 1876, pour s’orienter, et il s’y rencontra avec Cafiero et Malatesta, dont je lui fis faire la connaissance ; il retourna ensuite à Londres mettre ses affaires en ordre ; puis en janvier 1877 il transporta définitivement ses pénates parmi nous. Voici comment il a raconté lui-même la chose dans ses mémoires :


Mon séjour en Angleterre ne fut pas de longue durée. Je correspondais activement avec mon ami James Guillaume, de la Fédération jurassienne, et dès que j’eus trouvé un travail de géographie permanent, que je pouvais faire en Suisse aussi bien qu’à Londres, je me rendis en Suisse : j’y devins membre de la Fédération jurassienne de l’Association internationale des travailleurs, et, suivant le conseil de mes amis suisses, je me fixai à la Chaux-de-Fonds.

De toutes les villes de Suisse que je connais, la Chaux-de-Fonds est peut-être la moins attrayante. Elle est située sur un haut plateau presque entièrement dénué de végétation arborescente, exposé en hiver aux vents glacés ; la neige y est aussi épaisse qu’à Moscou, elle y fond et tombe de nouveau aussi souvent qu’à Saint-Pétersbourg. Mais il était important de répandre nos idées dans ce centre, et de donner plus de vie à la propagande locale. Il y avait là Pindy, Spichiger, Albarracin[1], les deux blanquistes Ferré[2] et Jeallot[3], et de temps en temps je pouvais rendre visite à Guillaume à Neuchàtel, et à Schwitzguébel au Val de Saint-Imier.

Une vie pleine d’une activité telle que je l’aimais commença alors pour moi. Nous tenions de nombreuses réunions, distribuant nous-mêmes nos convocations dans les cafés et dans les ateliers[4]. Dans les séances de la section, qui avaient lieu une fois par semaine, les discussions étaient des plus animées, et nous allions aussi prêcher l’anarchisme[5] aux assemblées convoquées par les partis politiques[6]. Je voyageais fréquemment pour visiter d’autres sections et les aider.

  1. L’instituteur espagnol Albarracin, on l’a vu (t. III, p. 184), vivait en Suisse sous le nom d’Albagès. Dans l’automne de 1876, il avait quitté Neuchâtel (où il avait été membre du Comité fédéral jurassien) pour aller travailler à la Chaux-de-Fonds comme peintre en bâtiment, l’entrepreneur Dargère (un communard) ayant consenti à l’occuper en cette qualité.
  2. Hippolyte Ferré, frère de Th. Ferré.
  3. Jeallot avait, précédemment, travaillé quelques années à Neuchâtel (t. II, p. 172).
  4. Quelques lettres de cette époque, écrites à Kropotkine par moi, par Schwitzguébel, Brousse, Robin, etc., avaient été laissées en dépôt par lui, en septembre 1877, entre les mains de Gustave Jeanneret, qui les lui a restituées il y a deux ans (1907). Kropotkine m’a autorisé à faire usage de ces lettres dans ce volume, et j’en reproduirai d’assez nombreux passages. Dans une lettre du 26 février, je lui disais : « Avez-vous un peu l’occasion de causer avec des amis le soir ? Il me semble qu’en vous faisant introduire dans divers cafés ouvriers, par ceux qui ont l’habitude d’y aller, il vous serait possible de faire un peu de propagande. C’est justement ce qui manque à la Chaux-de-Fonds ; nos amis vivent trop isolés, trop en dehors de la population. »
  5. Ce mot d’anarchisme est ici un anachronisme ; il n’était pas encore fabriqué ; le mot d’anarchie était seul employé. C’est par nos adversaires que l’épithète d’anarchistes nous était appliquée ; quant à nous, si nous l’employions, nous avions généralement soin d’y joindre celle de collectivistes.
  6. Voir plus loin (pages 149-150) ce qui est dit du discours d’Auguste Spichiger à la fête du 1er mars. Peut-être Kropotkine a-t-il aussi accompagné Spichiger à Saint-Imier le 4 février (p. 144).