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Page:James Guillaume - L'Internationale, III et IV.djvu/605

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Le Congrès de Saint-Imier.

Le Congrès des 4, 5 et 6 courant a été l’un des plus beaux qu’on ait jamais vus dans la région jurassienne : il a admirablement réussi, et a laissé dans le cœur de tous ceux qui y ont pris part d’impérissables souvenirs, en même temps qu’il contribuera puissamment, sans doute, au progrès de l’organisation socialiste dans le Jura et particulièrement au Val de Saint-Imier.

La première séance, tenue le samedi après-midi, fut consacrée à la vérification des mandats et à la fixation de l’ordre du jour. La vaste salle du Buffet de la gare, où siégeait le Congrès, avait été élégamment décorée de guirlandes de verdure ; quelques tableaux représentant des sujets socialistes ornaient les parois : on remarquait entre autres deux groupes représentant, l’un, la Propriété individuelle, l’autre la Propriété collective. Ces dessins, dus au crayon d’un ouvrier graveur de Sonvillier, ont obtenu un grand succès, et tous ceux qui les ont vus ont exprimé le vœu qu’ils fussent reproduits par la lithographie et répandus dans le public, comme moyen de propagande[1].

Le soir, les trois conférences simultanées annoncées par le programme du Congrès furent données : l’une par James Guillaume, dans la salle du Congrès, devant un nombreux public ; la seconde (en allemand) par Kachelhofer, dans la grande salle du café Schuppach, devant une réunion d’ouvriers allemands ; la troisième (en italien) par Costa, au local de la Fédération du district de Courtelary, au Lion d’Or, devant une réunion relativement fort nombreuse d’ouvriers de langue italienne.

Après les conférences, il y eut soirée familière au local de la Fédération du district de Courtelary, et la franche cordialité qui régnait entre tous les délégués et les membres de la fédération locale fit bien augurer à chacun des délibérations du lendemain.

La séance du dimanche matin, 5, fut employée à la discussion des diverses questions de l’ordre du jour ; puis, après un dîner[2] pris en commun au Lion d’Or, un cortège fut improvisé pour se rendre à la séance publique. Si les ouvriers de Saint-Imier eussent été prévenus qu’il y aurait un cortège, ils seraient certainement accourus en grand nombre pour en grossir les rangs ; mais, comme nous venons de le dire, le cortège fut improvisé, et ne se composa que des compagnons présents au local de la Fédération. La colonne socialiste, précédée de la musique de Sonvillier, n’en offrait pas moins un aspect imposant ; et lorsque parut le drapeau rouge, qui prit place en tête du cortège, la bannière du prolétariat socialiste fut acclamée par des centaines de poitrines. Le cortège, drapeau rouge déployé, parcourut la ville de Saint-Imier dans toute sa longueur pour se rendre au Buffet de la gare, où devait avoir lieu la séance publique. Pas un sifflet, pas un cri hostile ne se fit entendre pendant tout le trajet ; et la foule qui remplissait les rues témoigna, par son attitude, sa sympathie pour la liberté de manifestation et sa réprobation pour la stupide et brutale conduite de la police de Berne au 18 mars[3].

  1. Ce vœu n’a pas reçu d’exécution.
  2. Le repas de midi.
  3. On a vu plus haut (p. 221), que nous avions prévu la possibilité d’une agression contre le drapeau rouge, et qu’un certain nombre de nos camarades s’étaient armés en conséquence. On m’a raconté que la société de gymnastique de Saint-Imier, composée de jeunes gens nourris dans les traditions du patriotisme gouvernemental, avait réellement projeté de se livrer à une manifestation hostile ; mais, pour une raison ou une autre, les gymnastes, après réflexion, trouvèrent préférable de s’abstenir. Pierre Kropotkine, dans ses Mémoires, a fait de cet épisode de la journée du 5 août un récit pittoresque et dramatique, mais qui contient deux erreurs. « Le gouvernement de Berne — écrit-il — avait interdit le drapeau rouge dans toute l’étendue du canton ; » sur ce point, Kropotkine a été mal renseigné : il n’est pas exact que le gouvernement bernois eût pris une mesure générale de ce genre ; mais le maire de Saint-Imier aurait pu, s’il l’eût voulu, en vertu de ses pouvoirs municipaux, interdire la présence du drapeau rouge au cortège ; seulement, plus raisonnable que les autorités de Berne, il ne crut pas devoir le faire. Quant à l’assertion qu’ « un détachement de la milice se tenait prêt dans un champ voisin, sous prétexte de tir à la cible », elle dénature le caractère d’un fait absolument normal et habituel ; le dimanche après-midi, en effet, dans la plupart des localités de la Suisse, des jeunes gens appartenant à la milice s’exercent au tir ; les coups de fusils qu’entendait Kropotkine, il eût pu les entendre tous les dimanches de l’année, et la présence des tireurs au stand n’était pas motivée par la réunion du Congrès de l’Internationale.