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Page:James Guillaume - L'Internationale, III et IV.djvu/64

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On a vu qu’un citoyen de Béziers, Abel Bousquet, avait figuré dans le rapport de la Commission d’enquête sur l’ Alliance à la Haye, où il était qualifié de « secrétaire de commissaire de police », ce qui équivalait, dans l’intention de la Commission, à le représenter comme un mouchard. Jules Montels, de la Section de propagande de Genève, écrivit au Bulletin une lettre (publiée dans le numéro du 10 novembre) pour prendre la défense de l’inculpé ; il disait : «Ayant connu le citoyen Bousquet soit à Paris (pendant le premier siège), soit dans l’Hérault, je proteste contre l’accusation lancée contre lui, accusation toute serraillière, qui, à coup sûr, n’est que le produit d’une rancune personnelle et peut-être d’une divergence d’opinions anti-marxistes ». Il expliquait, en citant une lettre de Bousquet à la République de Montpellier du 1er janvier 1872, que « la municipalité de Béziers, voulant s’entourer de fonctionnaires vraiment républicains et énergiques, avait offert à Bousquet [en 1871] le poste de commissaire municipal ; que son dévouement à la République démocratique et sociale le fit passer sur les inconvénients que pouvait avoir cette position, et qu’il l’accepta » ; mais que les attaques, imméritées d’une partie de la démocratie, et aussi une assignation en police correctionnelle pour un écrit politique, l’engagèrent à résigner ses fonctions, ce qu’il fit. Montels ajoutait : « Si le citoyen Bousquet a eu tort d’accepter l’emploi qu’il a un instant occupé, son acte est certainement atténué dans ce sens que la municipalité de Béziers est essentiellement républicaine, composée qu’elle est de dix-sept ouvriers et de dix républicains de diverses nuances ». Dans la séance du Comité fédéral jurassien du 22 décembre, le secrétaire donna lecture d’une lettre, de Serraillier écrite de Londres en réponse à celle de Montels, à propos de l’affaire Bousquet : il fut décidé « que la lettre du citoyen Serraillier serait communiquée au citoyen Montels, puis insérée au Bulletin avec la réponse que ferait celui-ci ». On verra plus loin (p. 61) le motif qui empêcha l’insertion de la lettre de Serraillier.

À côté des Sections françaises qui n’avaient pas reconnu les décisions de la Haye et le Conseil général de New York, il s’en trouvait quelques-unes qui acceptaient l’autorité de l’agent du Conseil général, Serraillier, et de divers sous-agents, le blanquiste Van Heddeghem (venu au Congrès de la Haye sous le nom de Walter) à Paris, un certain Dentraygues (venu au Congrès de la Haye sous le nom de Swarm), de Pézénas, fixé à Toulouse depuis mars 1872, et un ami de Lafargue, nommé Larroque, à Bordeaux. J’ai raconté (t. II, p. 313) comment l’étudiant Paul Brousse, de Montpellier, avait été expulsé de l’Internationale (19 septembre 1872), par un arrêt signé Dentraygues ; cette mesure avait été prise sur la dénonciation d’un certain Calas, secrétaire de la Section de Béziers. Jules Guesde, alors ami de Brousse, fut indigné d’un semblable procédé, et il publia dans la Liberté de Bruxelles, du 20 octobre 1872, le texte de la grotesque sentence : Dentraygues n’y était désigné que par l’initiale D. ; mais le nom de Calas s’y trouvait en toutes lettres, toutefois avec une erreur de transcription qui transformait le nom en Colas. Le pamphlet L’Alliance dit à ce propos (p. 51) : « La police, mise en éveil par cette dénonciation [de Guesde], surveilla Calas, et, immédiatement après[1], saisit à la poste une lettre de Serraillier à Calas où on parlait beaucoup de Dentraygues de Toulouse. Le 24 décembre, Dentraygues était arrêté. » Or Guesde et Brousse, traités ainsi de dénonciateurs, ont démontré péremptoirement, en réponse à cette imputation, que la publication faite dans la Liberté n’avait pu compromettre ni Dentraygues ni Calas, puisque Dentraygues et Calas étaient tous deux des mouchards, comme l’a établi le procès jugé à Toulouse en mars 1873. Quant aux arrestations assez nombreuses qui eurent lieu à la fin de décembre à Toulouse, Béziers, Narbonne, Montpellier, Cette, Perpignan, etc., elles furent faites sur la dénonciation du mouchard Dentraygues lui-même[2].

  1. La brochure L’Alliance, etc., indique, à tort, le mois de décembre comme la date de la publication de la lettre de Guesde dans la Liberté, tandis que cette lettre parut le 20 octobre. De là l’emploi des mots « immédiatement après », qui ne sont pas exacts; il fallait dire « deux mois après ».
  2. Au procès qui eut lieu à Toulouse au mois de mars 1873, Brousse, qui avait réussi à passer en Espagne, fut condamné par contumace, sur un passage d’une lettre écrite le 22 novembre 1872 par un certain Masson. Cette lettre, trouvée chez Dentraygues (c’est-à-dire livrée par Dentraygues), fut lue à l’audience du 15 mars. Le passage en question disait : « Brousse est démasqué ainsi que Guesde ; leur correspondance saisie a été envoyée à Londres ». Les agents marxistes interceptaient donc et volaient la correspondance des membres de l’Internationale qui n’admettaient pas les résolutions de la Haye, (Le Marxisme dans l’Internationale, par Paul Brousse, Paris, 1882, p. 30.)