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Page:James Guillaume - L'Internationale, III et IV.djvu/673

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suffrage universel, qu’en reproduisant le jugement porté par M. Jules Guesde lui-même, il y a cinq ans, sur la tactique de ceux qui engagent les ouvriers à user du vote comme d’un moyen d’émancipation et de propagande. Voici ce qu’écrivait M. Guesde dans l’Almanach du peuple pour 1873[1] : [Suit le passage, si souvent reproduit depuis, dans lequel Jules Guesde démontre la duperie du suffrage universel]. Les choses ont-elles changé depuis lors ? Le suffrage universel a-t-il cessé d’être ce qu’il était ? Les leçons de l’histoire n’ont-elles plus la même signification ? Ou plutôt n’est-ce pas M. Guesde qui, de proscrit étant devenu journaliste radical, a trouvé opportun[2] de changer de convictions ? »

Un Congrès ouvrier, pour faire suite à celui qui s’était réuni à Paris en 1876, était en préparation, et on avait annoncé qu’il s’ouvrirait à Lyon le 9 décembre. Divers motifs en firent remettre l’ouverture au 20 janvier suivant.

Le ministère de Broglie avait dû se retirer : Mac-Mahon le remplaça le 23 novembre par le ministère du général de Rochebouët, dont la tâche devait être d’accomplir un coup d’État militaire. Des ordres furent donnés, et l’exécution du complot fixée au 14 décembre[3]. Mais Mac-Mahon et ses complices manquèrent de résolution, et le 13, le maréchal, capitulant, se décida à confier à Dufaure le mandat de constituer un ministère pris dans les rangs de la majorité dite « républicaine ».


En Belgique, la Chambre du travail de Bruxelles avait publié un Almanach de l’ouvrier pour 1878. Il contenait un article d’un journaliste radical de Paris, Sigismond Lacroix, où le but et les moyens du socialisme militant étaient définis en ces termes :

« Voilà le but : détruire l’arsenal des lois anti-libérales que les classes dirigeantes, jusqu’ici investies de l’autorité législative, ont accumulées pour leur défense. Voici le moyen : conquérir, par le suffrage universel, l’autorité législative. »

Un second article, signé par Louis Bertrand, parlait dans le même sens et énumérait ainsi les réformes à accomplir par voie législative : « la réglementation du travail des femmes et des enfants ; la réforme des conseils de prudhommes ; des mesures d’hygiène dans les fabriques et ateliers ; le monopole des mines ; des maisons de crédit, etc. »

Mais, à côté de ces pages qui exposaient le programme réformiste, il y avait un autre article complètement révolutionnaire, non signé[4], intitulé Socialisme et Bourgeoisisme, dont l’auteur disait que la société actuelle est condamnée à périr, qu’aucun palliatif ne peut la soulager, et que, voulût-elle se sauver, elle ne le pourrait pas, car l’unique moyen de salut impliquait précisément la destruction de cette société inique et irrationnelle.

Le Bulletin (18 novembre) releva ces contradictions :


Comment peut-on, dans la même brochure, enseigner aux ouvriers deux doctrines si différentes ? On leur dit, à telle page, qu’il faut changer l’assiette de l’impôt, pour l’établir sur une base plus juste ; à une autre page, on leur montre que tous les gouvernements marchent à la banqueroute. Le citoyen Bertrand écrit : « Un cataclysme inévitable doit arriver, transformant entièrement le monde, à moins que le monde ne se transforme par lui-même, par le libre développement de ses institutions, » — laissant,

  1. Voir t. III, p. 40
  2. Le mot d’opportunisme était alors de création toute récente.
  3. C’est la veille, 13 décembre, qu’à Limoges le major Labordère ayant déclaré qu’il ne s’associerait pas à une entreprise contre la constitution, le général Bressolles le mit aux arrêts. Quelques jours plus tard, le ministre de la guerre du nouveau cabinet «républicain » mettait le général Bressolles en disponibilité, mais en même temps frappait le major Labordère en le mettant en non-activité par suite de retrait d’emploi, pour « infraction grave à la discipline ».
  4. Cet article révolutionnaire non signé était, comme on le verra tout à l’heure, du même Louis Bertrand qui avait écrit et signé un article réformiste.