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Page:Jammes - Feuilles dans le vent, 1914.djvu/408

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à charge. C’est une pauvre blessée, et moi aussi je suis un pauvre blessé. Elle ne m’est pas à charge. Ma tristesse n’est pas de me dévouer ni d’avoir laissé là mon art pour notre pain quotidien… C’est autre chose… Qu’est-ce, ô mon cœur ? Il me semble que bien que besogneux comme nous sommes, malgré ces chaussures éculées qu’elle porte, nous pourrions être heureux si… si nous n’étions pas nous… si elle n’était pas la femme d’un autre. Oh ! je sais bien que ce n’est pas la misère de l’argent qui me tue… C’est la misère du cœur. Oh ! si le passé n’existait pas… si elle était une simple épouse dont on a assumé la protection ; si je sentais sur moi la bénédiction de Dieu. Combien, quand elle s’endort dans notre pauvre chambre, combien je saurais la consoler et la défendre de la vie. Mais quelque chose de plus fort que moi-même pèse sur moi, une tristesse, un dégoût, une lassitude qui ont tué en moi l’homme de naguère. C’est pour n’être ni lâche, ni cruel, que je réponds machinalement à son grand amour. Mais je suis à présent comme un violon sans âme. Il y avait en moi, malgré tout, malgré