Page:Jaurès - De la realite du monde sensible, 1902.djvu/130

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nous constatons dans le monde un tel enchevêtrement, une telle réciprocité des fonctions, qu’il est bien difficile d’imaginer qu’elles puissent dériver chronologiquement les unes des autres. Quoi de plus opposé que la matière pesante et résistante sur laquelle nous marchons, et l’éther présumé qui remplit l’espace ? Il n’y a pas entre la matière pesante et l’éther ce voisinage troublant que nous constations tout à l’heure entre la chaleur et la lumière, et qui semblait s’opposer à toute dissection ; on peut se représenter l’éther sans bornes et supprimer par la pensée les globes pesants qui évoluent en lui. Et si en même temps quelque hypothèse hardie sur la nature de l’atome, comme celle de William Thomson, réduit celui-ci à n’être qu’un petit tourbillon d’éther, voilà que la matière proprement dite peut être dérivée de l’éther. On peut dès lors supposer une filiation entre les formes de mouvements essentiels à l’éther et auxquelles correspondent la lumière et la chaleur, et les formes de mouvement qui constituent la matière proprement dite et auxquelles correspond le sentiment de pression, de résistance, de son. Il y aurait ainsi des périodes très tranchées dans l’histoire du monde ; l’univers serait comme un être qui n’acquerrait ses différents sens que successivement. Soit, mais l’éther, pour produire cette forme nouvelle de mouvement qui est la matière, y devait être prédisposé. Ce tourbillon supposé qui serait l’atome devait exister en préparation dans les mouvements antérieurs de l’éther ; c’est dire qu’il y avait jusque dans l’immatériel un germe caché de matière, comme il y a des nuées subtiles et invisibles qui sont noyées dans la lumière d’un jour orageux et qui, condensées soudain et visibles, semblent éclore sans préparation de la clarté même. Mais il y a