Page:Jaurès - De la realite du monde sensible, 1902.djvu/314

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passé subitement, sans raisons saisissables, à l’état de détermination, à l’état d’univers. Non, c’est par une nécessité interne et éternelle que l’univers procède de l’être. De même que nous ne pouvons pas saisir l’être à l’état d’être, quoiqu’il soit au fond de tous les phénomènes, de même il nous est impossible de saisir dans la durée l’acte par lequel l’être passe de l’indétermination à la forme, quoique cet acte soit incessant. Mais, comme nous pouvons nous donner, sous la diversité des phénomènes, le sentiment et presque la sensation de l’être, nous pouvons aussi, en comprenant et éprouvant nous-mêmes l’aspiration intérieure et infinie de l’être vers la précision, c’est-à-dire vers la vie et l’harmonie, assister à la création continuelle et profonde de l’univers. Et si l’on nous objectait qu’ici nous avons l’air de faire sortir l’acte de la puissance, la forme de l’indéterminé, tandis que plus haut nous avons au contraire déduit la puissance de l’acte, nous répondrions que maintenant nous étudions l’être à l’état de nature : c’est dans la nature que nous sommes, et non plus en Dieu.

L’être étant ainsi donné, il est aisé de voir comment l’espace lui est corrélatif. Les deux idées se tiennent à tel point qu’il n’est pas possible de les distinguer nettement. Supprimez, par la pensée, toutes les manifestations de l’être, toutes les formes, toutes les couleurs, toutes les résistances, et il vous semblera vous trouver dans l’immensité indéterminée de l’espace. Supprimez de même, par la pensée, toutes les formes, toutes les existences qui peuplent l’espace ; faites dans l’espace le vide absolu, ou ce que vous croirez être le vide, vous sentirez bientôt que ce vide apparent est empli et déborde d’être, parce qu’il est tout à la fois l’infini et