Page:Jaurès - De la realite du monde sensible, 1902.djvu/360

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c’est qu’alors, la sensation ne serait qu’un mode de la quantité ; elle se bornerait à illustrer la superficie de l’être ; elle n’en traduirait pas les aspirations et les profondeurs ; c’est-à-dire que, si la sensation, comme telle, tombait sous les prises de la science, ce serait par une diminution de réalité. Maintenant elle tient à l’être tout entier, puisqu’elle est une fonction déterminée, un besoin intime de l’être, et qu’en même temps elle a rapport à la quantité sans se confondre avec elle. Si elle était annexée par la science, elle serait réduite à la quantité, et elle échangerait, contre une réalité étriquée, partielle et morte, sa pleine et vivante réalité. Nous dirons donc à Descartes : puisque la sensation, sans être objet de science, a rapport à la science ; puisqu’on peut la traduire par des symboles mathématiques sans la confondre avec ces symboles, elle comprend l’étendue et ne se laisse point comprendre par l’étendue, et, bien loin d’être moins réelle que l’espace, elle est, en un sens, plus réelle que lui.

Comme l’on voit, nous ne concluons pas de ce que l’espace a une réalité, une vérité, qu’il est la réalité essentielle, la vérité absolue. C’est parce qu’il est le symbole de l’être dans l’ordre de la quantité et des relations quantitatives que nous le disons réel et vrai ; mais l’être est à la fois supérieur à l’espace et plus vaste que lui. Il lui est supérieur parce que c’est l’être qui engendre l’espace ; l’infini de l’extension sort de l’infinité de l’être. Si la vertu génératrice et illimitée de l’être n’était point partout présente à l’espace, celui-ci s’arrêterait, ou du moins il ne serait jamais qu’une totalité inachevée et contradictoire ; il ne serait point l’unité immense et intelligible qu’il est. L’être est en outre plus vaste que l’espace, car il possède la pleine infinité,