Page:Jaurès - Histoire socialiste, IX.djvu/102

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’honneur d’avoir coopéré à sauver la société. Mais, curieux revirement, dix mois et demi plus tard, quand, dans la sécurité revenue, l’odieux des massacres commis révoltera les consciences réveillées, il laissera voir une modestie tardive, il se défendra d’avoir jamais eu la moindre volonté propre ; il se rabaissera au rang de simple interprète de la Commission. Mais il aura beau se laver les mains : la tache de sang ne s’en effacera pas.

Les Ateliers nationaux de la Seine avaient coûté 14.500.000 francs. Ceux de femmes, qui comprirent 25.000 ouvrières, ne coûtèrent que 328,027 francs. Les objets qu’elles avaient fabriqués s’étaient vendus si bien, que l’assistance par le travail dont elles bénéficièrent revint à 15 centimes par femme et par jour. Les dégâts causés par les journées de Juin ont été évalues à 76 millions. On aurait pu faire une économie d’argent en faisant une économie de vies humaines.

Pendant que s’achève ainsi l’écrasement méthodique des prolétaires, il y a d’autres vaincus que l’on frappe à la Chambre. Cavaignac, qui a déposé ses pouvoirs entre les mains de l’Assemblée, est proclamé à son tour sauveur de la société ; on vote qu’il a bien mérité de la patrie ; puis on le nomme de nouveau chef du pouvoir exécutif et il compose un cabinet où entrent Senard, Lamoricière, Goudchaux, ceux qui ont été ses collaborateurs les plus actifs avant et pendant la bataille. Dans la marche qui l’éloigné de la démocratie, la République a franchi une étape de plus. Le gouvernement a éliminé de son sein tout élément radical. Seule la présence de Marie et de Bastide rappelle encore qu’il a existé récemment un Gouvernement provisoire. Mais aussitôt l’on travaille à défaire ce qu’a fait ce Gouvernement.

D’abord qu’on ne parle plus du peuple armé ! Cavaignac a commencé par ordonner le désarmement de tout garde national qui n’a pas répondu à l’appel. On vote des remerciements, des décorations, des millions aux gardes nationaux de l’ordre et aux mobiles. Puis on licencie les légions des faubourgs. On revient peu à peu à la conception d’une garde purement bourgeoise : des fusils à ceux qui ont quelque chose à défendre ; point d’armes aux prolétaires.

Puis il s’agit de punir Paris. On discute une loi municipale provisoire ; Paris sera mis hors du droit commun ; tandis que les autres communes et départements seront administrés par des conseils élus, Paris et le département de la Seine le seront par une Commission que nommera le pouvoir exécutif. C’est tout au plus si l’on consent à voter les subventions accoutumées aux théâtres nationaux. Les provinciaux réclament. — Pourquoi payer les plaisirs de Paris ? — Il faut que Félix Pyat et Victor Hugo plaident en faveur du pauvre Paris dont on veut faire « un immense Carpentras », et ce qui décide le vote c’est peut-être cet étrange argument, que peu d’attroupements résistent au théâtre ouvert et qu’aucun ne résisterait à un spectacle gratis. — À condition toutefois, ajoute judicieusement Flocon, que l’attroupement eût dîné. — Les villes, grandes et petites, sont suspectes au même titre, sinon au même degré que la capitale. Aussi les chefs-lieux ; de département et même