Page:Jaurès - Histoire socialiste, IX.djvu/135

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Il n’y avait plus après cela qu’à voter l’ensemble. Toutefois deux points encore sollicitaient l’attention de l’Assemblée. Elle ne prétendait pas légiférer pour l’éternité. Elle admettait qu’on pourrait réviser ce qu’elle avait fait. Mais, trop amoureuse de son œuvre, elle la protégeait trop contre ses successeurs. Une révision ne pouvait être décidée que dans la dernière année d’une législature, après trois délibérations successives, aux trois quarts des suffrages exprimés et par 500 voix au moins. C’était laisser une entrée bien étroite aux corrections de l’avenir. C’était prolonger de façon artificielle et dangereuse la durée de tel ou tel article, qui pouvait être condamné par la majorité d’une Assemblée et maintenu par une faible minorité. C’était ainsi rendre presque inévitable une situation révolutionnaire.

Cette défiance qu’elle avait des Assemblées qui la suivraient, elle l’avait aussi du suffrage universel. Au début et à la fin de la discussion, des représentants demandèrent que la Constitution fut soumise à la sanction du peuple. C’était dans la tradition républicaine ; cela s’était fait en 1793, l’an III et l’an VIII. C’était aussi conforme au principe démocratique ; car la souveraineté populaire est au-dessus de la souveraineté des Assemblées qui en émanent. Tous ceux qui étaient mécontents de la Constitution se raccrochèrent à cette suprême chance de salut ; des légitimistes comme Puységur, des catholiques comme Montalembert, des démocrates comme Gambon et Mathieu de la Drôme se coalisèrent pour réclamer l’appel au peuple. Réunis, ils étaient quarante-deux ; c’est assez dire qu’ils furent vaincus. La majorité vit dans la proposition ce qui s’y trouvait en effet, une manœuvre pour retarder ou empêcher le vote de la nouvelle loi fondamentale de la France. Elle vota contre. Ce vote signifiait : Nous voulons sortir du provisoire. C’est un des graves inconvénients du système parlementaire que le vote y répond souvent à tout autre chose qu’à la question posée.[1]

Enfin le vote définitif eut lieu à l’énorme majorité de 739 voix contre 30.

Il y eut aussi quelques abstentions. Les opposants étaient à peu près par moitié des intransigeants de la légitimité ou des démocrates-socialistes comme Joigneaux, Gambon, Greppo, Pelletier, Félix Pyat, qui, dans une lettre collective, tirent grief à la nouvelle Constitution de ne pas comprendre complètement la liberté de la pensée, la gratuité de l’enseignement, l’abolition de la peine de mort, l’unité du pouvoir et le droit au travail. Il faut leur adjoindre Proudhon, qui dans une lettre assez peu claire, comme il le confesse lui-même, déclara repousser la Constitution, parce qu’elle était une Constitution politique, c’est-à-dire recréant un pouvoir avec ses prérogatives et ses ambitions dangereuses pour la liberté. Plusieurs lui reprochaient encore une tache

  1. On peut remarquer à ce propos que le jeu de certains adversaires de la République paraît avoir été de la tuer en lui demandant, dans une époque de crise et pour une nation encore novice à la démocratie, une application immédiate et périlleuse de principes républicains qui auraient convenu à un temps normal et à un peuple vraiment majeur. Ainsi point de proscription, même pour les princes. — Pleine et entière liberté pour l’Église, seule association privilégiée. Au nom du suffrage universel, choix du chef de l’État laissé au peuple, etc.