Page:Jaurès - Histoire socialiste, IX.djvu/142

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à vivre. La campagne, menée avec ardeur aboutit à la proposition Rateau. Dès le 28 Décembre, un obscur représentant de la Charente a proposé de fixer au 19 mars la convocation de l’Assemblée législative qui lui succédera. Grévy, au nom du Comité de la Justice, où les voix se sont partagées également, conclut au refus de la prise en considération. Il proteste contre un suicide qui serait pour la Constituante une désertion de sa tâche inachevée. Il essaie, et la gauche entière suit quelque temps cette tactique inutilement habile, de séparer le Président du parti de l’ordre qui le pousse aux mesures extrêmes. Mais l’Assemblée, après un discours où Montalembert se fait joyeusement son fossoyeur, se prononce pour le renvoi aux bureaux à une majorité douteuse de quatre voix. Le 25 janvier, un nouveau rapport de Grévy conclut encore au rejet et rappelle à l’Assemblée qu’elle s’est engagée à voter les lois organiques, qu’elle se doit à elle-même de ne pas accepter la violence morale qu’on veut lui imposer. Mais le 29 janvier, jour assigné à la discussion, la Chambre est dès le matin enveloppée de troupes. Changarnier, invité par le Président de l’Assemblée avenir expliquer ce déploiement de force armée, se dérobe à cette visite, et c’est sous la pression de cet appareil militaire, mal motivé par la mutinerie de quelques gardes mobiles, que s’engage la délibération.

Après un brillant tournoi oratoire qui met aux prises Jules Favre, désormais champion de la gauche et Victor Hugo siégeant encore à droite, l’Assemblée décide de passer à une seconde délibération. Celle-ci a lieu, ainsi qu’une troisième, dans les premiers jours de Février, et sur "un amendement de Lanjuinais, un Râteau modéré (les plaisants dirent édenté), la Constituante consent à se dissoudre, dès qu’elle aura voté trois seulement des lois organiques prévues, (Lois sur les élections, sur le Conseil d’État, sur la responsabilité du Président et des ministres) et, en plus, le budget de 1849). Les élections pour l’Assemblée législative sont fixées au dimanche qui suivra la clôture des listes électorales. — Ainsi, cédant à une lassitude précoce, s’abandonnant elle et son œuvre, la Constituante, après quelques mois d’existence, se laisse amener à signer elle-même son arrêt de mort. Ce fut une des plus adroites manœuvres de la contre-révolution, un des coups les plus sûrs portés à la République.

La lutte électorale est virtuellement ouverte dès ce jour-là et il convient de considérer les ressources et les programmes des partis en présence.

La lutte est autrement passionnée que l’année précédente, et, comme il arrive en pareil cas, les nuances intermédiaires s’effacent ; il y a concentration à droite, concentration à gauche.

Le parti de l’ordre, qui se réclame du Président et qui comprend catholiques, orléanistes, légitimistes, voire quelques républicains, tous résolus à ne consentir aucune réforme du système économique, a pour centre d’action le Comité de la rue de Poitiers, une Société des Jacobins retournée. Son plan