Page:Jaurès - Histoire socialiste, IX.djvu/224

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procureurs dénoncent quelques dépôts clandestins de poudre et des relations avec les révolutionnaires de l’étranger, surtout avec ceux de Londres, de Suisse et d’Allemagne.

Mais il est certain que le monde officiel d’alors, dans un intérêt trop facile à comprendre, s’acharne à grossir les quelques menaces qui couvent dans ces petits groupements forcés de se cacher. Il faut justifier la compression savante et implacable qui pèse sur la France et qui s’exerce à l’aide de quatre instruments faisant fonction de pompes foulantes : le clergé, la magistrature, la police, l’armée. Le premier veille surtout à « l’ordre moral » ; il réprime les écarts de pensée. La magistrature organise la chasse aux républicains ; le parquet fait fermer les loges et les cercles suspects d’opinions avancées ; il voudrait ôter aux municipalités le droit d’autoriser les réunions publiques, au jury le droit de juger les contraventions qui s’y commettent ; telle association d’ouvriers ou d’étudiants est dissoute, parce qu’elle « doit avoir un but politique » ; des sociétés de bienfaisance, de musique, sont interdites, parce qu’elles pourraient prendre un caractère analogue. Faire de la politique devient un délit créé, poursuivi, puni au nom de la paix publique. La police, encouragée, prend une part active à cet étranglement de la vie civique. Perquisitions, arrestations arbitraires, dont les victimes sont parfois des représentants qui sont accueillis par les ricanements de la majorité, quand ils réclament, abondent d’un bout à l’autre de la France. Le Bulletin des Lois garde la trace de cette activité policière. De 1849 à 1851, il constate la création ou l’extension d’une multitude de commissariats. Le Préfet de police, Carlier, dit avec fierté : « Aujourd’hui, quand trois personnes causent ensemble, il y en a au moins une qui est à moi. » Mais le rôle des chefs militaires est plus grand encore. Qui veut s’en rendre compte n’a qu’à lire le Journal du Maréchal de Castellane. Il fut le véritable préparateur du Coup d’État en province. Il fut d’abord dans l’Ouest, puis à Lyon et dans l’Est, l’étouffeur de la République. Son œuvre est double. Avant tout mater, assouplir les troupes, les plier à l’obéissance passive ; pour cela, tenir les régiments en haleine par de fausses alertes, défendre aux officiers l’habit bourgeois, leur interdire le port de la barbe, rétablir tout ce qui peut les séparer des civils ; parler aux soldats contre les démocrates, leur prescrire dans des instructions confidentielles de tirer sur les femmes et les enfants qui sont l’avant-garde ordinaire des émeutes ; leur faire faire des sermons et des cours de morale par des prêtres, emprisonner ou expédier en Afrique ceux qui témoignent des sympathies pour les « rouges ». Puis, réunir à l’abri du pouvoir militaire, clergé, noblesse, haute bourgeoisie et, ce qui est l’autre face de la même manœuvre, terroriser les républicains. Afin de complaire aux gens de bien, par qui « l’État de siège est regardé comme un bienfait », il va à la messe, assiste aux processions, fait couper les arbres de la liberté, reprend son titre de comte ; pour effrayer les méchants, il fait