Page:Jaurès - Histoire socialiste, IX.djvu/247

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de la terre. Considerant, en 1850, écrit une brochure qui s’intitule : La dernière guerre et la paix définitive de l’Europe. Toutes les races sont conviées à faire leur partie dans l’harmonie qui se prépare. C’est à peine si quelques théoriciens, comme Proudhon, Toussenel, Pierre Leroux, lancent en passant des anathèmes contre les Juifs. Mais ce que l’on poursuit en eux, ce n’est point la race sémitique, c’est l’incarnation la plus vivace de l’esprit mercantile.

Il s’en faut toutefois que les tendances dont nous venons de parler règnent sans rivales dans le socialisme et l’on devrait peut-être dire dans les socialismes de 1848. Aux optimistes, qui se fient à la Providences et à l’excellence de la nature humaine, s’opposent des pessimistes qui croient plus à la lutte qu’à la coalition pour la vie, à la discordance qu’à l’harmonie naturelle des intérêts. Ceux-là sont irréligieux comme Proudhon et Blanqui ; ils ne veulent ni Dieu ni maître. Une école surtout se distingue par un caractère spécial. Il existait à Londres en 1847 une fédération communiste constituée cette année même par les débris des Sociétés secrètes qui avaient été brisées en France, en Belgique, en Allemagne. C’était par la force des choses une Société internationale, comprenant aussi un certain nombre d’Anglais. Elle eut au mois de novembre 1847, un Congrès qui publia un manifeste dont la rédaction fut confiée à deux Allemands réfugiés, Karl Marx et Frédéric Engels, et dont la traduction en plusieurs langues devait paraître aussi tôt que possible. L’élément français y était représenté par deux communistes, J. E. Michelot et H. Bernard, dont on ne connaît guère que le nom. Le Comité central, nommé par le Congrès, se transportait à Paris dans les premiers jours qui suivirent la Révolution de Février, et le manifeste, traduit pour la première fois en français, y fut publié quelque peu avant les journées de Juin. Il ne paraît pas avoir eu d’action sérieuse, du moins en France. Karl Marx y passa presque inaperçu ; il avait réfuté Proudhon {(Misère de la philosophie) qui ne lui répondit pas ; il est à ce titre cité par Louis Blanc comme ayant livré son rival à la risée des étudiants de Berlin. Mais le manifeste, qui est l’œuvre d’une énergique minorité, est d’accord avec les tendances du lendemain plus que du jour. Arrière fraternité, philanthropie, rêveries tendres ! La fédération, dont il est l’expression, interdit à ses membres de se donner ce nom de frères qui lui semble un mensonge, étant données les relations des hommes entre eux. Au lieu du sentiment, la science. Pour base aux revendications prolétariennes, l’histoire et non plus les idées de justice et d’égalité. L’ambition, non plus de plier les faits aux conceptions de l’intelligence, mais de suivre et d’achever l’évolution commencée par le régime de la grande industrie.

Déjà Proudhon avait proclamé la nécessité de faire la science sociale et Comte, appliquant la méthode historique à la solution des questions du moment, enseignait qu’il faut saisir par l’étude attentive des faits la tendance