Page:Jaurès - Histoire socialiste, IX.djvu/311

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souvent des manufacturiers qui ne péchaient point, à l’égard de leurs confrères, par excès de zèle et de sévérité. C’est pourquoi, quinze ans plus tard, des économistes constataient que les prescriptions de la loi restaient partout inobservées, que le travail de nuit n’avait pas cessé pour les petits martyrs de l’industrie, qu’on n’avait organisé ni les relais destinés à leur assurer quelque répit, ni les écoles de fabrique destinées à compléter leur instruction. Hélas ! C’est un refrain qui revient souvent, quand on s’occupe des lois ouvrières. Il y a loin de leur existence sur le papier à leur application réelle et régulière.


Accidents et hygiène du travail. — Il faut noter toutefois, sous la Deuxième République, des commencements, des ébauches dans ce même ordre d’institutions protectrices.

Les accidents du travail étaient alors soumis au régime du droit commun. On ne s’occupait pas de savoir s’il existait entre le patron et l’ouvrier des relations particulières, un contrat. On les considérait comme deux individus quelconques dont les rapports étaient régis par l’article 1382 du Code civil : « Tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. » Il s’ensuivait que le patron n’avait qu’une responsabilité délictuelle ou quasi-délictuelle ; et que l’ouvrier, pour obtenir une indemnité, devait faire la preuve qu’il y avait eu faute du patron. On comprend assez combien la chose lui était difficile. La jurisprudence élargit peu à peu cette conception, en assimilant l’ouvrier soit au voyageur qu’une entreprise de transport s’est chargé de rendre intact à destination, soit à un objet ou à un animal loué que le locataire s’engage à restituer en bon état, ou encore en mettant les machines sur le même rang que les animaux méchants dont les dommages (art. 1385) doivent être réparés par leur propriétaire.

Le principe d’une responsabilité contractuelle de la part du patron commença ainsi à s’insinuer dans les esprits. Puis les accidents des mines par leur tragique horreur, les accidents de chemin de fer par le fait qu’ils frappaient des gens de toutes classes, favorisèrent l’entrée du principe dans la loi. On songe, en 1848, à garantir la sécurité des travailleurs. On s’avise qu’il faudrait peut-être tâcher de prévenir les accidents et les maladies résultant du travail. Une proposition de Loisel, représentant du Nord, dès le 2 Juin 1848, tend à classer toute usine faisant usage d’un moteur mécanique parmi les établissements dangereux ou incommodes, qui ne peuvent s’ouvrir sans autorisation ; elle demande aussi que les accidents soient l’objet de rapports et d’enquêtes qui pourront donner lieu de prescrire les précautions pour les éviter. L’auteur évalue à 123 sur 10.000 ouvriers le nombre des victimes constatées annuellement à Lille dans les usines à vapeur, et il ajoute : « La Révolution de Février et de grandes batailles coûtent moins