Page:Jaurès - Histoire socialiste, IX.djvu/42

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ne pouvait être changé par personne, si ce n’est par le Souverain pontife. On avait dit à Rome en parlant de la démocratie : « Il faut baptiser l’héroïne sauvage. » Mais, baptisée ou non, l’on entendait qu’elle restât hors de l’Église Le pape ajoutait, d’ailleurs, au sujet du budget des cultes : « Cette espèce de dotation n’est qu’une compensation bien faible des immenses biens de l’Église, qui furent aliénés dans ce pays au temps malheureux de l’ancienne révolution. Renoncer à cette dotation serait jeter la religion elle-même dans un grand danger, » On le voit, sur le passé comme sur l’avenir, le Saint Père donnait le signal d’une réserve inquiète.

Le parti catholique, tout en devenant le centre du parti de l’ordre, se garde, durant les premiers mois, de se prononcer avec éclat dans un sens ou dans l’autre. Montrant tantôt sa face évangélique d’ami du peuple et de patron des pauvres, tantôt sa figure de gendarme ensoutané défenseur de la propriété, il bénéficie de l’équivoque et il prépare silencieusement son triomphe en rassemblant sur lui des sympathies qui lui viennent à la fois d’en haut et d’en bas. Il opère surtout en province, où la population des villes reproduit plus ou moins le fractionnement parisien, mais où fermente obscurément l’immense inconnu des campagnes.

Dans l’effacement voulu de la masse conservatrice qui n’ose pas encore se déclarer contre la République, le fort de la lutte pour enrayer le mouvement en avant est alors soutenu par les républicains dits tricolores qui s’intitulent aussi eux-mêmes « honnêtes et modérés. » Ils sont les maîtres du moment ; ils occupent les postes officiels les plus importants ; ils ont la mairie de Paris, la présidence du Conseil et tous les ministères, sauf celui de l’intérieur, qui est aux mains de Ledru-Rollin ; Flocon, malade, est réduit à l’inaction, mais les radicaux ont encore le commandement de la garde nationale, confié au général Courtais ; la direction des postes, avec Étienne Arago ; la préfecture de police, où campe le géant Caussidière, entouré de ses montagnards à ceinture rouge, et des espèces de petites places fortes comme celle où siège, rue de Rivoli, Sobrier avec des bandes aussi inoffensives que terribles à regarder. Quant aux socialistes, en dehors de l’honneur qui leur est échu de présider la Commission du Luxembourg, ils ne possèdent d’autre autorité que celle qu’ils peuvent tirer de leur valeur personnelle ou des masses populaires qu’on suppose derrière eux. Les modérés sont donc les vrais dirigeants, et Lamartine, leur guide et leur porte-parole, est célébré par eux comme le messie du jour et le sauveur de la société.