Page:Jaurès - Histoire socialiste, IX.djvu/54

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chœur, humble et timide qui regarde, subit et commente les actes des grands de la terre, elle monte sur la scène pour y jouer à son tour le premier rôle.

En attendant, on avait préparé du mieux qu’on pouvait la première expérience du système qui allait mettre sur pied le même jour plusieurs millions d’électeurs et qui avait été, dit-on, déclaré impraticable par la sagesse de l’Institut. Il y avait eu des propositions diverses ; quelques-uns avaient demandé le suffrage à deux degrés, qui soumet l’élu à un triage plus sévère et élargit la distance entre lui et les électeurs. Une brochure avait conseillé le vote à domicile avec une urne portative qui irait, au son du tambour, recueillir les votes de maison en maison. On avait soutenu l’incompatibilité du mandat de député avec les fonctions de préfet, de magistrat, de prêtre ; on avait eu la vague idée d’une sorte de représentation des intérêts où les soldats nommeraient des soldats, les ouvriers des ouvriers, etc. Mais les auteurs du projet officiel, élaboré par Cormenin et Isambert et amendé par Marrast, s’étaient surtout préoccupés de deux choses. D’abord ils avaient voulu empêcher que les représentants ne fussent asservis à l’esprit de clocher, et ils avaient préféré au scrutin uninominal le scrutin de liste qui soustrait quelque peu les élus aux influences et sollicitations locales, qui permet aussi dans une certaine mesure de substituer la discussion des programmes à celle des personnes, mais qui a le tort grave, tant qu’il n’est pas corrigé par la représentation proportionnelle, d’écraser la minorité, parfois rurale, le plus souvent urbaine, dans tout un département, d’obliger les candidats à des compromis qui troublent la clarté de l’élection, de réduire parfois les électeurs à voter à l’aveuglette en les forçant de désigner une trentaine d’hommes dont beaucoup leur sont inconnus. Ensuite ils avaient tâché de faire en sorte que les mandats fussent accessibles aux citoyens intelligents, mais peu aisés ; c’est pourquoi ils avaient fixé pour les députés une indemnité de vingt-cinq francs par jour, indemnité que certains candidats riches, avec une générosité destinée à leur rapporter des voix, proposeront d’abandonner à leurs électeurs ; ce sont les fameux vingt-cinq francs que les journaux réactionnaires jetèrent sans cesse à la face des élus et qu’ils parvinrent à rendre odieux à des gens du peuple trop naïfs pour comprendre que gratuité des fonctions signifie : « Arrière les pauvres ! »

Mais, au cours de la bataille électorale, on découvrit bien des précautions qu’il fallait prendre, bien des questions inattendues qu’il fallait trancher. Une des plus controversées fut celle de la date des élections. On pouvait les faire très vite profiter de l’élan donné par a Révolution, du désarroi jeté par elle dans le camp conservateur. C’eût été sans doute le parti le plus avantageux aux républicains. Plusieurs commissaires du Gouvernement en province, et, à Paris, la Société démocratique du 1er arrondissement poussèrent en ce sens. Mais la plupart des clubs agirent en sens contraire, espérant, dans l’intervalle, creuser un abîme entre hier et demain, modeler à leur gré les masses populaires ou arracher au pouvoir quelque décret irréparable. Les élections furent, sous leur influence, ajournées du 9 avril au 23. « C’était trop ou trop peu », a dit Louis Blanc. Le feu des premiers