Page:Jaurès - Histoire socialiste, IX.djvu/67

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d’une espèce de terreur. « Le 17 mai, écrit George Sand, j’osais a peine sortir en plein jour avec mes amis. L’ordre régnait. » Portalis, à la Chambre, signale en l’approuvant l’arrestation par la garde nationale « d’hommes tenant des propos communistes ». Plusieurs légions signent une pétition demandant le rétablissement de l’échafaud politique. D’autres, accourues de provinces, ajoutent encore à la fermentation. Cette malencontreuse journée du 15 mai était, de la part du parti républicain avancé, une faute énorme ; plus qu’une faute politique, au dire de George Sand, une faute morale. Il en sortait, non seulement décapité, mais amoindri. Il avait sans motifs graves, sur de simples dépits, donné le signal de la révolte contre la loi qui était républicaine ; il avait jeté dans les esprits un ferment permanent d’inquiétude ; il avait, en quelque sorte, justifié les coups de force futurs ; il avait fourni aux ennemis du socialisme la faculté de lui prêter avec quelque vraisemblance les plus noirs desseins. On pouvait lire deux jours plus tard au Moniteur que Barbès avait été interrompu par ces cris : « Ce qu’il nous faut, c’est deux heures de pillage ! » Calomnie probable ! L’interruption ne figure que dans une seconde version arrangée après coup, et quand celui qui avait apporté ce renseignement au Journal officiel fut sommé de comparaître devant la justifie, il se rétracta formellement. La calomnie n’en avait pas moins fait le tour de la France et de l’Europe.

C’est à l’Assemblée qu’on peut suivre le contre-coup de l’attentat manqué ; une moitié du parti républicain aux prises avec l’autre ; les modérés travaillant d’accord avec les royalistes à se débarrasser des « rouges » ; attaque directe contre les chefs de la classe ouvrière ; proposition d’Isambert de fermer tous les clubs, motion qui n’est pas encore prise en considération, mais qui demeure comme une pierre d’attente ; autorisation de poursuite demandée contre Louis Blanc, qu’on accuse d’avoir été de connivence avec les envahisseurs ; Jules Favre concluant à la mise en accusation dans un rapport doucereusement fielleux, qui fut comparé à une jatte de lait empoisonné et qui, malgré le manque total de preuves, ne fut repoussé qu’à trente-deux voix de majorité ; Caussidière accusé à son tour et ne désarmant l’hostilité que par sa bonhomie pittoresque et surtout par un sacrifice habile, par sa démission de préfet de police et de député. Le parti avancé est battu, chassé des positions qu’il occupait, réduit à la défensive ; mais, par un choc en retour, le parti modéré est atteint du même coup. La Commission exécutive est déconsidérée, soupçonnée pour n’avoir pas su prévenir l’humiliation subie par l’Assemblée. Peu s’en faut qu’on ne lui reproche « de pactiser avec le désordre ». On pousse déjà des candidats à sa succession. Quand Lamartine monte à la tribune, ce n’est plus en dominateur, en orateur aimé, admiré, tout puissant, il est accueilli par un froid glacial ou par des rires.

Bref la République est descendue encore d’un degré sur la pente où elle roule. Les républicains tricolores commencent à paraître trop hardis. Les royalistes reprennent courage. Des intrigues légitimistes et orléanistes se nouent. Les prétendants des deux branches rivales sont également frappés de bannissement,