Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/112

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anglais, forte de ses armées et de celles de l’Empire, se prépara à reprendre les hostilités.

La comédie pacifique de Bonaparte se terminait. Cette paix que voulait la France, c’est en vain qu’il l’avait offerte, on l'obligeait à continuer la guerre. C’est en réalité ce qu’il avait toujours désiré, et l’on peut s’en convaincre d’autant plus facilement qu’il a déclaré lui-même n’avoir fait des ouvertures pacifiques que pour donner satisfaction à l’opinion[1]. Certains historiens voudraient que le Premier Consul ait eu véritablement le désir de traiter avec l’Angleterre et l’Autriche afin d’empêcher la capitulation de Malte et surtout la conquête de l’Égypte par l’Angleterre. Ce sont ceux qui, autour de M. Bourgeois, ramènent toute la politique extérieure de Napoléon à cette idée fixe : conquérir l’Orient[2]. Mais, quelque effort que l’on fasse pour tenter d’éclairer la politique de Bonaparte à la lumière de ce seul criterium, quelque subtile et ingénieuse que soit l’œuvre qui consiste à rechercher minutieusement des phrases ou des lambeaux de phrases épars au travers d’une production immense, pour découvrir la suite méthodique d’une idée pensée par l’historien avant d’être suggérée par l’histoire, nous croyons que le résultat n’apporte aucune certitude. Bonaparte a pu songer et il a même certainement songé à l’Égypte, mais ce n’a pas été sa seule préoccupation. Lorsqu’il est parti abandonnant son armée d’Afrique, son unique souci a été d’accourir en France pour jouer un rôle important dans les événements qui s’y déroulaient. La puissance qu’il rêvait d’avoir en Égypte lui avait échappé, il devait la chercher ailleurs. Nous savons comment il l’a trouvée. L’ayant, il fallait la conserver, et le moyen d’y parvenir, ce n’était pas de se préoccuper de l’Orient, mais bien de regarder aux frontières mêmes de la France. Bonaparte a complètement oublié alors qu’il s’était fait chef des musulmans ; il commence à songer, au contraire, qu’il sera chef des catholiques ! L’Égypte, c’est encore pour lui un coin de l’échiquier où il reste des pièces engagées, mais c’est au Rhin et c’est aux Alpes que doit se jouer la partie décisive.

Cette guerre contre l’Autriche qu’il désirait et qu’il préparait, nous le verrons, alors même qu’il parlait de paix, devait amener ou sa ruine ou la consolidation décisive de son pouvoir. L’engageant après les offres que nous connaissons, offres livrées à la connaissance du public, il lui donnait contre le vœu même de la nation un caractère national. Il y a eu là une équivoque extraordinaire : l’Angleterre et l’Autriche avaient refusé la paix, il fallait donc se battre, ou tout au moins se préparer à la lutte, eh bien, dans cette préparation même consentie par tous, on ne parle que de paix ! Que l’on feuillette le recueil de M. Aulard, Paris sous le Consulat, et l’on se rendra

  1. Corresp., t. XXX, p. 191-194.
  2. Bourgeois, Manuel de politique étrangère, II, ch. viii. M. Bourgeois intitule successivement le chap. ix et le chap. x de son ouvrage : « Le Secret du Premier Consul. — Le secret de l’Empereur ». Ce secret, c’est « l’Orient » (p. 266).